vendredi 29 février 2008

La légende du télésiège en bois et autres « BRouillons de culture » !

Je trouve que l’évolution des remontées mécaniques est un exemple parfait de la technologie au service du client. Capteurs, actionneurs, moteurs, automates, informatique, bref tout ce qui concourt à faire de la bonne mécatronique, est mis en œuvre pour nous offrir, nous les illustres inconnus des pistes, un repos mérité dans la prise de dénivelé. Fini les téléskis sauteurs qui massacrent le dos et chauffent cuisses et biceps dans des pentes à 60 degrés. L’heure est aux télésièges 6, 8 ou 12 places et, comble du luxe, parfois chauffants. Les télécabines ultra rapides gobent les skieurs par paquets de 20. Les téléphériques se déclinent en appartements de deux étages. Bref tout est fait pour déplacer en masse nos skis élancés supportant nos augustes personnes vers le sommet nirvanesque des cimes enneigées.

Oui mais, tout cela a un défaut majeur : la promiscuité forcée est inversement proportionnelle à la qualité de la convivialité. C’est pour cela que j’adore toujours autant, LE télésiège historique, à assise bois et dossier métal, celui qui se trouve au fin fond d’une combe, au bout du bout du domaine skiable. La montée est interminable, le vent congèle les chairs mais le paysage est sublime, et les conversations avec votre voisin de galère prennent soudain une tournure d’autant plus chaleureuse que la température du corps dévale vers le bas !

C’est comme cela que je rencontrais à tour de rôle un champion de surf canadien à l’affût de nouveaux spots, une journaliste people à la recherche d’inspiration et un petit gamin qui avait perdu ses parents (seulement de vue). La rencontre suivante aurait pu faire l’objet d’une agréable description dans le dernier roman politico financier d’un Sullitzer de plage mais nous étions en hiver. Entre la gare de départ et le premier pylône, je sus qu’elle était anglaise, de par la communication téléphonique qu’elle reçut. En fait, comme elle me l’expliqua rapidement, elle était « chief economist » dans une grande banque de la City. Elle était en mission (sauf pendant les week-end !) pour analyser in situ quelques pôles de compétitivité. Elle me demanda si je connaissais cette curiosité française, qu’ailleurs, en Europe on appelait cluster. Lui répondre par l’affirmative allait, j’en étais sûr, nous mener jusqu’au bout de ce voyage télésiègique .

« Vous comprenez, vos pôles dits mondiaux, nous les pistons au travers des grandes entreprises et de stratégies industrielles au moins à l’échelle européenne. Mais les autres sont plus difficiles à cerner. Et comme nous ne voulons pas rater quelques pépites, c’est sur le terrain qu’il faut aller » !

Nos « pépites » comme vous les appelez peuvent être constituées à 100% de PME, et être dans certains cas tout aussi mondiales, avec leurs entreprises allant chercher des marchés à l’autre bout de la planète et une visibilité qui attire de grands investisseurs internationaux.

Elle sourit : « je suis au courant ! Nous avons participé à plusieurs tours de tables pour des entreprises pas bien loin d’ici ».

- Me permettez-vous une autre segmentation ?
- Allons-y ! Nous avons encore bien des pylônes à franchir !
- Que diriez-vous des pôles grappes et des pôles toiles ?

A son air étonné je savais que je pouvais pousser l’avantage.

-Un pôle mondial, est l’organisation d’une grappe d’entreprises et de laboratoires autour de quelques groupes mondiaux. La cohérence d’ensemble est donnée par la stratégie du groupe. A l’inverse un pôle dit national me semble trouver sa valeur dans la densité des échanges entre les entreprises réunies sur une même zone de chalandise. La logique est alors bien différente. Là où, dans un cas, on accompagne une filière industrielle marché, on va, dans l’autre, structurer des bonnes pratiques d’échange et de partage et créer ainsi un réseau d’entreprises, souvent des PME, capable de s’adapter à une grande variété de donneurs d’ordres. C’est pour cela que nous le qualifions de pôle en toile, par analogie au réseau Internet dont la robustesse est intimement liée à la multitude des chemins d’accès et des nœuds de connexions.
- Oui me dit-elle mais ces PME, de par leur taille, ne font pas de R&D et c’est bien le point faible que nous détectons !
- Et c’est bien pour cela que ce type de pôle fonctionne différemment ! Si un grand groupe de 50000 personnes localise des équipes importantes dans des centres de recherche, il est vrai que la démarche est impossible pour une PME de 50 salariés. Mais si vous arrivez à structurer 100 entreprises de cette taille autour de projets communs vous retrouvez sans problème la taille critique, et, d’autant plus que vous y ajoutez de grosses PME de 500 à 2000 personnes (les gazelles dans le jargon convenu)
- Cela c’est de la théorie, mais, dans la pratique ça ne doit pas bien marcher !

Je crois que je commençais à perturber quelque peu les modèles de la « Chief economist » londonienne.

- Ca ne marche pas, en effet, si on laisse simplement faire ! Mais un pôle de ce type, une fois qu’il a démarré est un véritable bouillon de culture. Toutefois comme en chimie, il faut des catalyseurs pour entretenir la réaction. Nous avons les « sherpas » qui font passer l’idée du stade de « BRouillon de culture » à celui de projet. Les « adaptateurs d’impédance » sont là pour « digérer » les résultats de la recherche fondamentale et les transformer en données exploitables par les PME. Les « diffuseurs » mettent au point les séminaires et les formations pour toucher le maximum d’entreprises. En fait, notre stratégie est toute simple : permettre à chacun d’être « best in class » dans son domaine. Certaines vont s’engager dans des projets de rupture technologique sur le modèle classique des pôles, d’autres vont améliorer leurs procédés de fabrication, d’autres encore préfèreront travailler leur organisation industrielle.
- Mais ce n’est pas de la R&D !
- Peut-être pas si on le regarde avec notre vision européenne. Les japonais appelleront cela de l’amélioration continue et pour eux c’est bien de l’innovation !

Les deux derniers pylônes nous rappelaient que l’arrivée était proche.

- C’est étonnant ! Mais avec un tel programme, vous n’êtes pas un peu attrape tout ? Me dit-elle avec un rire dans la voix.
- Et c’est bien cela qui est intéressant. Nous adaptons en permanence notre mode de fonctionnement aux besoins des industriels. Nous construisons le modèle en avançant. Là où l’on disait que les PME ne faisaient pas ou peu de R&D, nous démontrons le contraire.
- Tout le monde est actif ?
- Bien sûr que non ! Et pourtant nous récupérons tous les mois une dizaine de nouvelles entreprises : nous avons déjà 200 membres. Certains viennent chercher un simple label alors qu’à l’inverse d’autres ont intégré le pôle dans leur stratégie, y compris commerciale, vis-à-vis de leurs clients !

La montée avait pris moins de temps que nous ne l’avions cru. La « chief economist » avait encore de nombreuses questions, mais elle était là, avant tout, pour la splendide poudreuse qui recouvrait les pentes.

J’eu dans les jours qui suivirent un prolongement téléphonique pour parler des projets de niches, de notre visibilité internationale, de la cohérence avec l’économie territoriale, de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, des financements de l’investissement et de biens d’autres spécificités. Tout un programme !

Epilogue

Cher ami lecteur, comme vous l’aurez deviné, les lieux, les personnages et les circonstances de cette « légende du télésiège en bois » sont peut-être sortis de l’imagination débridée de votre chroniqueur mensuel, pour les besoins de cette newsletter. Toutefois, si vous croisez au fin fond d’une combe, au bout du bout d’un grand domaine d’altitude, une « légende » aux longs cheveux bruns avec une pointe d’accent anglais, vous saurez qu’elle obtint de sa banque d’affaire, un complément d’enquête pour consacrer plus de temps à l’analyse de ces « petits pôles pépites ». De plus, elle augmenta très notoirement le « rating » d’une zone blottie entre l’altesse silhouette du Mont-blanc et le romantisme bucolique de lacs alpins et qui avait choisi pour thématique « du décolletage à la mécatronique » ! What else ?