lundi 1 avril 2013

Le cuir de reblochon révolutionne la maroquinerie de luxe

Primavrilium : retenez le nom de ce champignon microscopique qui pourrait faire la fortune des villages des Aravis. En le cristallisant, un chercheur a réussi à fabriquer du cuir de qualité haute couture à partir de croute de reblochon.


Quoiqu’il arrive, le Lundi de Pâques 2013 restera une date historique pour la petite ville de Thônes en Haute-Savoie. Jugez plutôt : un avion spécial affrété depuis Paris, les grands noms de la haute couture qui se retrouvent en début d’après-midi sur la place de l’Eglise pour un défilé de mode hors du commun, des vêtements laissés sous bonne garde dans les coffres d’une des agences bancaires de la petite ville des Aravis. Tous ces évènements ont un point commun : la découverte majeure que vient de réussir Paul Fisherman, ancien élève de l’école d’ingénieurs d’Annecy et qui travaille aujourd’hui à la cave coopérative de Thônes. Il a modifié la structure moléculaire de la croute de reblochon pour en faire du cuir de qualité « pleine peau ».

L’histoire est belle, car elle montre que l’innovation peut prendre des chemins parfois improbables. « J’ai une double formation d’ingénieur et de biologiste » rappelle Paul Fisherman qui nous reçoit dans son petit bureau à Thônes, « et j’ai toujours été un passionné du fromage. Alors, pour mon stage de fin d’études, j’ai immédiatement tenté ma chance à la cave coopérative de Thônes où un sujet était proposé concernant la croissance de la croute de reblochon. C’était une recherche difficile car elle met en œuvre des connaissances laitières mais aussi de génie des procédés. Or, j’avais acquis les deux lors de mon cursus universitaire ».

Il a fallu d’abord comprendre mais surtout modéliser les mécanismes de formation puis de croissance de la croute. « Aussi étonnant que cela paraisse, c’était une connaissance traditionnelle des maitres fromagers mais aucune étude scientifique n’avait été menée dans les dernières années. J’ai alors travaillé avec un laboratoire d’analyse sur ce que nous appelons dans notre jargon une HPLC-MS : en gros, un détecteur qui permet de reconstituer la carte d’identité des molécules présentes dans un fromage. Et c’est là que j’ai eu le choc de ma vie », s’enthousiasme le jeune Paul en nous montrant un diagramme fait de centaines de lignes noires dont 3, plus petites, ayant plus ou moins la forme d’un hameçon. « Là, vous voyez, c’est la signature caractéristique du primavrilium ». A notre tête incrédule, le chercheur nous explique que le primavrilium est un champignon microscopique dont la forme cristallisée, la primavrilitte, constitue la trame de la peau de bovin. C’est, nous dit-il, une structure en forme de filet assurant la souplesse du cuir dans toutes les directions. Ce qui est étonnant, c’est d’avoir retrouvé le primavrilium dans le reblochon car c’est, à priori, le seul fromage français ayant cette caractéristique. Le travail de Paul Fisherman a alors consisté à cristalliser in situ la molécule pour que la croute de reblochon se transforme en cuir. « Ce fut un travail ingrat qui a pris près de deux années … sans sortie au ski à la Clusaz ou au Grand-Bornand ! » 




Mais la persévérance a payé ! Dans son laboratoire, Paul nous montre fièrement le récipient historique de forme rectangulaire dans lequel il verse 1 cm de lait des Aravis. « C’est la hauteur optimale pour obtenir rapidement le cuir de reblochon si on maitrise le balancement lent créant de mini vagues à la surface ». Le chercheur ajoute quelques gouttes d’un liquide jaune paille dont la composition est brevetée et le miracle s’accomplit. En quelques minutes, on voit littéralement pousser le « cuir ». En condition industrielle, on obtient une surface de 2mètres carrés en moins d’une heure et le record actuel est de 14 mètres carrés sous la forme d’un rectangle de cuir de 7mètres sur 2. Le plus étonnant est le toucher très doux de ce cuir de reblochon, qui ressemble à s’y méprendre à du cuir naturel.

Pourtant, avant d’arriver à ce résultat, de nombreux obstacles ont dû être levés et notamment celui de l’odeur. « Nos premiers prototypes sentaient le fromage. Nous avons alors travaillé avec le centre d’innovation de Haute-Savoie, Thésame, et le pôle technique de tannerie des cuirs et écailles près de Brest. Ce dernier avait déjà développé un masque d’odeur pour le poisson, que nous avons adapté pour notre cuir de reblochon. Aujourd’hui, le produit quasi parfait est en phase de production ».

Le cuir de reblochon est d’une telle qualité que de grands couturiers s’en sont emparés pour leur future collection d’hiver. L’un des plus célèbres nous a d’ailleurs avoué en off qu’il n’avait jamais rien vu de pareil: « sur une très belle pièce de bovin, on a une texture parfaite sur moins d’un mètre carré. Ici, nous pouvons demander la surface que nous voulons ! »

Le défilé sur la place de l’église à Thônes, le lundi de Pâques, est la preuve de l’enthousiasme des créateurs parisiens pour ce produit hors norme. C’est une innovation majeure qui pourrait d’ailleurs totalement bouleverser le marché de la maroquinerie et renforcer la santé financière des producteurs de lait dans les Aravis. En attendant, Paul Fisherman peut couler des jours heureux, malgré son jeune âge. Le brevet lui aurait déjà rapporté plusieurs dizaines de millions d’euros et le carnet de commande est plein pour 18 mois.

Quand à l’usine de production, son lieu est tenu secret même s’il se murmure dans les rues de Thônes, que l’ACR (Atelier des Cuirs de Reblochon) aurait été creusé l’été dernier entre la pisciculture de Montremont et la piscine municipale. Mais nous n’en serons pas plus et nous devrons nous contenter d’admirer ces peaux superbes dont on a de la peine à imaginer leur origine fromagère.

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