Primavrilium : retenez le nom de ce champignon microscopique qui pourrait
faire la fortune des villages des Aravis. En le cristallisant, un chercheur a
réussi à fabriquer du cuir de qualité haute couture à partir de croute de
reblochon.
Quoiqu’il arrive, le Lundi de Pâques 2013 restera une
date historique pour la petite ville de Thônes en Haute-Savoie. Jugez plutôt :
un avion spécial affrété depuis Paris, les grands noms de la haute couture qui
se retrouvent en début d’après-midi sur la place de l’Eglise pour un défilé de
mode hors du commun, des vêtements laissés sous bonne garde dans les coffres
d’une des agences bancaires de la petite ville des Aravis. Tous ces évènements
ont un point commun : la découverte majeure que vient de réussir Paul Fisherman,
ancien élève de l’école d’ingénieurs d’Annecy et qui travaille aujourd’hui à la
cave coopérative de Thônes. Il a modifié la structure moléculaire de la croute
de reblochon pour en faire du cuir de qualité « pleine peau ».
L’histoire
est belle, car elle montre que l’innovation peut prendre des chemins parfois
improbables. « J’ai une double formation d’ingénieur et de biologiste » rappelle
Paul Fisherman qui nous reçoit dans son petit bureau à Thônes, « et j’ai
toujours été un passionné du fromage. Alors, pour mon stage de fin d’études,
j’ai immédiatement tenté ma chance à la cave coopérative de Thônes où un sujet
était proposé concernant la croissance de la croute de reblochon. C’était une
recherche difficile car elle met en œuvre des connaissances laitières mais aussi
de génie des procédés. Or, j’avais acquis les deux lors de mon cursus
universitaire ».
Il a fallu d’abord comprendre mais surtout modéliser les
mécanismes de formation puis de croissance de la croute. « Aussi étonnant que
cela paraisse, c’était une connaissance traditionnelle des maitres fromagers
mais aucune étude scientifique n’avait été menée dans les dernières années. J’ai
alors travaillé avec un laboratoire d’analyse sur ce que nous appelons dans
notre jargon une HPLC-MS : en gros, un détecteur qui permet de reconstituer la
carte d’identité des molécules présentes dans un fromage. Et c’est là que j’ai
eu le choc de ma vie », s’enthousiasme le jeune Paul en nous montrant un
diagramme fait de centaines de lignes noires dont 3, plus petites, ayant plus ou
moins la forme d’un hameçon. « Là, vous voyez, c’est la signature
caractéristique du primavrilium ». A notre tête incrédule, le chercheur nous
explique que le primavrilium est un champignon microscopique dont la forme
cristallisée, la primavrilitte, constitue la trame de la peau de bovin. C’est,
nous dit-il, une structure en forme de filet assurant la souplesse du cuir dans
toutes les directions. Ce qui est étonnant, c’est d’avoir retrouvé le
primavrilium dans le reblochon car c’est, à priori, le seul fromage français
ayant cette caractéristique. Le travail de Paul Fisherman a alors consisté à
cristalliser in situ la molécule pour que la croute de reblochon se transforme
en cuir. « Ce fut un travail ingrat qui a pris près de deux années … sans sortie
au ski à la Clusaz ou au Grand-Bornand ! »
Mais la persévérance a payé !
Dans son laboratoire, Paul nous montre fièrement le récipient historique de
forme rectangulaire dans lequel il verse 1 cm de lait des Aravis. « C’est la
hauteur optimale pour obtenir rapidement le cuir de reblochon si on maitrise le
balancement lent créant de mini vagues à la surface ». Le chercheur ajoute
quelques gouttes d’un liquide jaune paille dont la composition est brevetée et
le miracle s’accomplit. En quelques minutes, on voit littéralement pousser le «
cuir ». En condition industrielle, on obtient une surface de 2mètres carrés en
moins d’une heure et le record actuel est de 14 mètres carrés sous la forme d’un
rectangle de cuir de 7mètres sur 2. Le plus étonnant est le toucher très doux de
ce cuir de reblochon, qui ressemble à s’y méprendre à du cuir naturel.
Pourtant, avant d’arriver à ce résultat, de nombreux obstacles ont dû
être levés et notamment celui de l’odeur. « Nos premiers prototypes sentaient le
fromage. Nous avons alors travaillé avec le centre d’innovation de Haute-Savoie,
Thésame, et le pôle technique de tannerie des cuirs et écailles près de Brest.
Ce dernier avait déjà développé un masque d’odeur pour le poisson, que nous
avons adapté pour notre cuir de reblochon. Aujourd’hui, le produit quasi parfait
est en phase de production ».
Le cuir de reblochon est d’une telle
qualité que de grands couturiers s’en sont emparés pour leur future collection
d’hiver. L’un des plus célèbres nous a d’ailleurs avoué en off qu’il n’avait
jamais rien vu de pareil: « sur une très belle pièce de bovin, on a une texture
parfaite sur moins d’un mètre carré. Ici, nous pouvons demander la surface que
nous voulons ! »
Le défilé sur la place de l’église à Thônes, le lundi
de Pâques, est la preuve de l’enthousiasme des créateurs parisiens pour ce
produit hors norme. C’est une innovation majeure qui pourrait d’ailleurs
totalement bouleverser le marché de la maroquinerie et renforcer la santé
financière des producteurs de lait dans les Aravis. En attendant, Paul Fisherman
peut couler des jours heureux, malgré son jeune âge. Le brevet lui aurait déjà
rapporté plusieurs dizaines de millions d’euros et le carnet de commande est
plein pour 18 mois.
Quand à l’usine de production, son lieu est tenu
secret même s’il se murmure dans les rues de Thônes, que l’ACR (Atelier des
Cuirs de Reblochon) aurait été creusé l’été dernier entre la pisciculture de
Montremont et la piscine municipale. Mais nous n’en serons pas plus et nous
devrons nous contenter d’admirer ces peaux superbes dont on a de la peine à
imaginer leur origine fromagère.
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