vendredi 1 mars 2013

Salon de l’agriculture et «businèsses yunites»


Il a des grands yeux de myope,
Une bouche minuscule d’où ne sort plus le moindre son,
Des doigts très mobiles,
Deux pouces hypertrophiés.


Vous l’avez découvert : c’est l’adorable lémurien vu dans un documentaire animalier sur Arte à 2h53 lors d’une nuit d’insomnie ! Il n’en est rien : c’est la description la plus probable de la future mutation génétique de l’homo Interneticus.

Je me suis souvent ébahi dans cette chronique devant les possibilités infinies du web. Je me suis tout autant révolté des méfaits d’une technologie qui, en nous ouvrant au Monde, nous coupe du monde.

Rivé sur son écran de Smartphone, l’homo Interneticus s’enferme dans une cage dont les barreaux invisibles se nomment mails, Tweet et autre Face de bouc. Les doigts glissent, pratiquant une danse de saint Guy sur la surface lisse de petites boites lumineuses qui ne sont que d’infâmes trous noirs, dévoreurs de notre temps quotidien. Qui n’a pas la crainte de rouvrir son webmail professionnel le lundi matin ou pire après quelques jours de vacances ? La douloureuse est là, sous la forme d’une liste infinie de messages. Il y a ceux que l’on dégage vite fait. Et puis, il y a les autres, tous les autres. Ceux que l’on va devoir éplucher patiemment puis rageusement au fur et à mesure que l’on découvre que cette corvée quotidienne se compose de 90% de bruit de fond. Alors, pour ne pas sortir épuisé au petit matin de cette épreuve quotidienne, nous la faisons progressivement glisser vers les soirées de la semaine, et comme cela ne suffit pas, nous empiètons aussi sur les week-ends. La boucle est bouclée. Le web a avalé tout cru notre temps personnel.

Bon nombre d’entreprises sont conscientes de l’étouffement et de l’inefficacité que génère le déluge infini des messages électroniques : anti spam de plus en plus sophistiqué ou, plus radicalement, changement d’adresse mail traitent le problème pour un temps, hélas, de plus en plus court.

Le mail ne jouant plus son rôle d’information/décision, bon nombre d’acteurs de terrain se sont volontairement constitués des réseaux sociaux professionnels ou de spécialistes. Le mot « volontaire » est ici essentiel car le bon réseau social sur Internet est autant celui que l’on choisit que celui où on est sélectionné. Ces micro-clubs sur la toile sont d’une richesse infinie et permettent souvent de trouver des solutions à des problèmes complexes ou, plus simplement, de se rassurer face à des situations inintelligibles. Bref, de vrais oasis de tranquillité, librement choisies.

C’est dans ce contexte que des esprits «éclairés» en organisation se proposent d’envahir ces lieux pour en faire de grands réseaux sociaux d’entreprise (RSE) favorisant le « dialogue et les échanges » (sic). Ici, point de choix mais une décision « top-down » chargée « d’améliorer » l’efficacité. Bon là, j’ouvre une parenthèse historique. Avant, il y a longtemps, les entreprises étaient organisées par grandes fonctions : la production, la compta, le commercial, à la rigueur la recherche ou le marketing. Puis il y a eu la tendance du tout « focalisé sur le client » avec les B.U. totalement intégrées (les Buzinèsses younites pour les pas anglophones). L’entreprise pilote toutes ses forces vers ses marchés, géographiques ou thématiques. Chacune des organisations a ses avantages et ses défauts. C’est alors qu’ont été mises en place les organisations matricielles où les fonctions croisent plusieurs BU. Sur le papier, c’est génial. Dans la pratique ce n’est pas toujours facile à vivre si toutes les procédures ne sont pas bien décrites et, même dans ce cas, l’agilité n’est pas toujours au rendez-vous lorsque tout un chacun doit jongler entre un chef opérationnel et plusieurs chefs fonctionnels.

Et c’est là qu’entre en scène le nouveau diagnostic des gourous qui avaient déjà théorisé les fonctions, les B.U., le matriciel. La sentence est sans appel : l’entreprise fonctionne trop en silos. Sous entendu, les BU marchent bien mais elles causent peu entre elles.

Bon là, je me dois d’ouvrir une seconde parenthèse, cette fois agricole, pour ceux qui n’ont connu l’environnement bovin que par un bel après-midi porte de Versailles. Le silo, n’est pas un élément particulièrement dynamique. C’est un excellent élément de stockage qui ne fait que restituer en bas ce qu’il a reçu par le haut. Pire, les gourous devrait savoir que créer des liaisons entre silos doit être fait avec précaution car cela peut créer des vides dans la matière stockée, générateurs potentiels d’explosions. En modeste ingénieur des montagnes, j’aurais plutôt choisi l’image hydraulique de la « conduite forcée » : au moins, ça turbine ! Mais voilà, je ne suis pas gourou. Et c’est bien connu, pour montrer l’efficacité d’une mission de gourou, il vaut mieux noircir le trait.

Donc admettons. L’entreprise fonctionne en silos et donc « what else ? ». Il y a quoi de mieux que le matriciel ? Et c’est là que sort, l’innovation technologique majeure : « le réseau social d’entreprise » (RSE) généralisé et informatisé. Bien vendu, cela peut sembler vraiment sexy. Chacun échangerait sur une « plateforme mutualisée », donnerait ses contacts, ses bonnes pratiques, ses recettes opérationnelles. Tel un miracle, le RSE, admirable lubrifiant digital, coulerait soudain dans les rouages de l’entreprise. Une véritable révolution, sauf que l’on oublie deux paramètres essentiels : le Temps et l’Envie. Les arobases (@) et autres hashtags (#) ne feront rien au manque de minutes et de secondes qui rythme notre quotidien professionnel. Déléguer une solution de communication aussi stratégique aux technologies de l’information fussent-elles hyper modernes, n’est-ce pas déraisonnable ?

Je ne parle pas ici des réseaux sociaux d’entreprises remplaçants modernes de la version papier des journaux du même nom et qui ont une véritable efficacité dans la cohésion et la compréhension de la vie de la société. Ils s’apparentent d’ailleurs plus à des blogs géants fournissant une information rapide à agrémenter de commentaires. Non, je parle des réseaux créés ex-nihilo, pour « résoudre » par la technologie un problème donc les fondamentaux profonds sont plus stratégiques ou liés aux processus. Je ne voudrais pas casser à tout pris ces RSE, tant il est vrai que l’optimisation des organisations d’entreprises relève d’un subtile doigté. Ce qui marchera ici, sera une catastrophe là. Mais on devrait plus souvent se rappeler que l’Homme est avant tout un « animal » social et convivial, doté de la parole.

Un coup de téléphone résout souvent bien mieux un problème que 10 mails. La machine à café, loin d’être une perte de temps est un lieu d’échange informel. Les nouvelles micro-réunions debout pour communiquer vite et bien ne sont plus réservées aux start-up informatiques agiles. Et puis, si l’entreprise est trop grande, trop grosse, trop dispersée, il vaut peut-être mieux recréer régulièrement l’esprit des « places du village » pour « parler de tout et de rien ». C’est, à n’en pas douter, bien plus « has been » qu’un Réseau Social d’Entreprise sur la Toile, mais c’est fichtrement efficace.

Demandez au paysan du coin !

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