jeudi 15 mai 2008

L'ésoterique PI-nnovation

Nous baignons dans un océan de 2 ! Depuis les temps immémoriaux, la nature nous a appris la dualité et la symétrie : le jour et la nuit, l’homme et la femme, fromage ou dessert, le yin et le yang, l’eau et le feu. Tout est fait pour que nous nous concentrions sur le tempo un-deux et ceci avec un certain succès. Le tic tac de l’horloger, le pas lent du légionnaire ou la voluptueuse sonorité du moteur d’une Harley Davisson relèvent de cette admirable connaissance du 2 sous toutes ses formes.

Oui mais l’homme, animal à sang chaud et de surcroît perpétuellement insatisfait, aime regarder ailleurs. Aussi, je n’hésite pas à dire que le 3 est, dans sa grande simplicité, le premier signe du réveil du cortex neuronal du genre humain. Alors que tout poussait à penser « deux » ,un illustre néandertalien a du imaginer quelque chose au-delà de cette frontière duale, ouvrant ainsi la voie vers le monde infini du 3, du 4, du 5 voire plus si affinité.

Depuis, nous sommes devenus les maîtres du 3.
Il y a le 3 sportif, celui du triple saut, annonçant après les 2 premières envolées, l’apothéose du final où l’athlète, dans un ultime effort, tente de s’arracher à sa dure condition de créature soumise à la gravité
Il y a le 3 du pas de valse découvert par un Strauss pour animer les parquets viennois
Il y a le 3 du philosophe en trois respirations : thèse, antithèse, synthèse.
Mais le 3 que je préfère est le 3 rhétorique, manié avec dextérité par le brillant orateur voulant dérouler sa pensée, par l’homme politique confronté à une question délicate ou par l’intellectuel en mal d’inspiration.
Le 3 rhétorique se caractérise par la mise en forme et le développement de l’idée en trois points. Ce que l’on peut facilement reconnaître dans le discours par « je vois 3 points fondamentaux » ou encore « 3 éléments sont à retenir » ou toute autre disgréssion du même ordre. Notez au passage que le 3 ne se justifie que par la volonté de satisfaire l’auditeur :
Une pensée en deux points, cela fait pauvre et maigrichon, mais la même en 4 ou 5 éléments risque de perdre le spectateur dans les méandres d’une pensée bien trop riche.

Aussi n’ai-je pas été étonné de lire récemment, les 3 meilleurs moyens de faire échouer un projet d’innovation. Je vous les livre sans trop les modifier car ils devraient figurer sur bien des anti-sèches !
Règle 1 : Considérer que créativité et productivité sont incompatibles alors qu’il il est possible de manager sans brider la créativité
Règle 2 : Piloter le projet d’innovation avec des outils classiques de planification alors que le temps n’est pas l’indicateur d’avancement le plus pertinent.
Règle 3 : Penser que le processus d’innovation est linéaire alors que le déroulement est souvent itératif et non prévisible.

Un patron de R&D bien connu, chantre de la « blue sky research » (la recherche stratégique en français) savait mieux que tous, les difficultés des projets de rupture technologique mais aussi le « jackpot » qu’ils pouvaient représenter. Il connaissait tout autant la psychologie de l’innovateur, animal étrange, aux règles de fonctionnement pas toujours décodables, qui demande à la fois une grande autonomie et une attention de tous les instants. Aussi, le passage annuel devant son comité d’engagement budgétaire était redouté et respecté par tous. A la fin d’une présentation réussie, son regard passait au dessus de ses lunettes et la question tombait : votre projet résiste-il au facteur PI ? Sous entendu, votre projet est excellent mais se justifie-t-il toujours s’il coûte ou s’il dure 3 fois plus que son budget initial ? Il connaissait bien évidemment la réponse car il était le premier à défendre le projet « en pseudo dérive », sachant qu’une rupture technologique reste rarement dans son épure budgétaire (en plus ou en moins).

Ce patron d’exception savait intuitivement concilier la rigueur et la souplesse dans la conduite de l’innovation. Sa vénération pour le facteur PI dans un monde où le pilotage économique est au cœur des dispositifs y compris de R&D devrait être plus souvent enseignée. La PInnovation ne sera plus alors économiquement ésotérique !