Ici, les parasols gorgés de soleil ont rejoint le coin reculé d’une cave obscure. Là, des chaussures de randonnée, toutes essoufflées, vont profiter d’un repos bien mérité sur la plus haute étagère d’une armoire aux portes grinçantes. Plus loin encore, la crème anti bronzante va demander à sa collègue auto-bronzante de la remplacer. Autant le dire tout de suite, la rentrée est bien là. Restent les souvenirs de vacances qui renaîtront au gré du temps, à la vision de ces millions de photos que le touriste moyen se doit de consommer, l’œil rivé à son viseur numérique. Il y a d’ailleurs un « je ne sais quoi » de fascinant dans cette apparente contradiction entre l’instantané du temps, figé par la photo et la durée de la situation qu’elle raconte. Opposition entre le temps physique du pixel saisi au centième de seconde et du temps émotif des heures de nos souvenirs.
Peut-être pensez-vous que votre chroniqueur mensuel est tombé dans la marmite d’une philosophie de supermarché. Erreur ! Comme toujours, ces introductions ne sont qu’une mise en jambe, qui n’a d’autre but que celui d’exercer vos neurones. Car ici, c’est du sérieux : on cause innovation. L’estival été est toujours source de rencontres étonnantes, confrontation d’histoires de mondes parallèles dont on ne peut que s’enrichir. Je vous propose donc, au travers de ces quelques lignes de regarder autrement une photo de vacances et d’écouter les histoires secrètes qu’elle nous raconte.
L’obturateur vient d’agir et son « clic-clac » fige une scène de perfection
A première vue, on est étonné par la douceur de cette ambiance feutrée où tout s’écoule sans heurt : à coup sûr, un outil de production parfait. La preuve : la traçabilité du « produit » entrant est assurée de manière légère mais systématique. Un contrôle actif anticipe les besoins d’alimentation des différents postes. Il est facile de répondre à la demande car tout est positionné à la bonne place : à tous les coups ils font régulièrement des 5s (pour ceux qui ne parlent pas en sigles, prononcez « cinq èsse »).
Un point de surcharge apparaît. Immédiatement les opérateurs se reconfigurent pour faire face à ce manque localisé de ressources critiques : polyvalence des postes.
Ici, un incident survient. Le technicien présent à proximité, remonte instantanément l’information pour que le service concerné traite le problème : fluidité de l’information, source d’efficacité. Plus encore, une amélioration du système est immédiatement mise en place : du Kaisen à l’état pur (pour ceux qui ne maîtrisent pas la nippone langue, prononcez « caille zen »).
Là, les stocks de matières premières sont livrés juste à temps et en quantité suffisante : perfection d’un Kanban. Plus loin un nettoyage régulier prouve une extrême conscience de la pollution particulaire.
Tout responsable de production, tout ingénieur qualité se régalerait à visiter cet atelier modèle. C’est du « lean managment » de très haute volée (pour ceux que l’anglophilie révulse, prononcez « line management »). Est-ce une usine Toyota ? Un laboratoire pharmaceutique ?
Cher lecteur, tu n’y es pas du tout ! Ton cerveau aurait-il succombé aux ravages de siestes alanguies rythmées par le crissement des cigales ? Regarde de plus près cette photo : il s’agit simplement du « ballet » des serveurs en pleine action dans un grand hôtel, délivrant le petit déjeuner matinal à des clients endormis.
Quelques explications de texte pour ceux qui n’auraient rien compris à cette curieuse histoire. Le « Lean management » est un ensemble de techniques qui vise à optimiser la performance industrielle. Elle utilise différents « outils » pour mieux ranger (5s), améliorer en continue (Kaisen), gérer au plus juste (Kanban), etc.
Je ne pense pas que le personnel de l’hôtel ait jamais entendu parler de Lean management. Pourtant, il le maîtrise à la perfection car, au-delà des outils, c’est la motivation de toute l’équipe et sa volonté de répondre au mieux, sans excès et dans les délais, aux attentes du client qui transpire de cette photo de vacances.
Les francophones ont gardé le terme anglais de « Lean » car sa traduction littérale, « maigreur », semble loin du concept qu’il véhicule. Je lui préfère le terme de « management de la sobriété » qui développe une valeur morale, éthique et partageable par tous. Sobriété dans l’action efficace et sans superflu. Sobriété liée aussi à un nombre limité de procédures faisant appel à l’intelligence de l’individu et laissant la liberté de s’ajuster à des situations souvent uniques.
On ne peut faire du bon Lean qu’en alliant outils, culture d’entreprise et management adapté. Car le Lean, loin de sa fausse image de carcan procédural est avant tout un moteur d’innovation continue.
Voilà bien le message secret que nous délivre ce café-croissant.