Je ne sais pas si vous l’avez constaté, mais nous avons eu la chance insensée de vivre, quasiment en direct, le scoop médical mondial de l’année.
Quel média n’a pas commenté et expliqué la mort de la compagne du célèbre … Tarzan. On parle ici de la disparition d’un individu notoirement simiesque. Mis au pinacle d’une actualité moribonde (sans mauvais jeu de mot), le chimpanzé Chita, qui n’avait rien demandé à personne, a tiré sa révérence à l’âge notable de 80 balais. Je ne vous dis pas ce que nous avons dû endurer. Chita était-il réellement si vieux ? Pouvait-il vivre aussi longtemps ? Mais aussi, la nation en deuil, les montagnes de fleurs, les doctes experts expliquant les malaises rénaux, la faiblesse des artères, les articulations arthrosées et autres contrariétés forcément « passionnantes ».
Ridicule.
Pourtant, il y aurait eu, en cherchant un peu, des aventures qui auraient fait de merveilleux cadeaux de Noel. Regardez par exemple ce qui se passe dans la « pas encore célèbre start-up Carmat ». Vous ne connaissez pas ? Je vous raconte. Le boss d’abord : Alain Carpentier, terminant sa dizaine des 70 ans et toujours aussi fringuant des neurones. C’est le gars qui a réussi à mettre au point des valves cardiaques recouvertes de péricarde et qui, de fait, ne génèrent pas de caillots. Moralité des millions de malades lui doivent la vie de par le monde et lui, au passage, a récolté le prix Lasker, une sorte de Nobel pour la médecine. Bref du lourd et du sérieux. Bon, à cet âge que l’on dit troisième, vous vous dites, il a bien mérité de se reposer. Et bien Non ! Il se lance dans un challenge bien plus grand : inventer le cœur implantable de nouvelle génération. Les histoires de cœur, ça passionne toujours. Rappelez-vous (uniquement pour ceux qui ont déjà quelques cheveux blancs). En 1967, un chirurgien Sud-Africain, du genre playboy, tente la première transplantation. Son patient survit une quinzaine de jours. Il ouvrait la voie à une opération certes lourde mais qui, aujourd’hui, se pratique couramment.
Le hic, c’est que des cœurs, il n’y en a pas tant à prendre (c’est bien connu).
D’où, dès les années 70 du siècle dernier, des recherches pour mettre au point des cœurs artificiels plus ou moins implantables. Et là, les déboires s’additionnent, car un cœur ça doit fonctionner dans toutes les conditions ! Risque de rejet, accidents vasculaires cérébraux, embolie pulmonaire, essoufflement ou palpitations. C’est tout, sauf à un long fleuve tranquille ! Le cœur JARVIK qui avait connu son heure de gloire n’est maintenant prescrit que pour des patients en état de mort imminente et l’ABIOCOR comme acte « compassionnel ». C’est tout dire ! Et c’est là qu’intervient l’idée à priori géniale du Professeur Carpentier. Puisque les caillots sont gênants et les médicaments anticoagulants si difficiles à doser, pourquoi ne pas refaire le coup des valves et tapisser le cœur artificiel du même composant. Comme cela, pour les globules rouges, c’est du copain-copain et adieu les bouchages. « Facile », il suffisait d’y penser ! Oui mais, notre cœur doit être capable d’accélérer lorsqu’on monte les escaliers, sinon gare aux vertiges. Il doit aussi ralentir lorsqu’on dort si l’on veut éviter les palpitations.
Et c’est là, que l’histoire devient belle : une rencontre improbable de la médecine et de l’aéronautique où comment un grand capitaine d’industrie, Jean-Luc Lagardère, se prend au jeu et met à disposition de brillants ingénieurs de Matra pour créer les composants et modéliser les comportements. Il en sort un bijou de technologie à 160 000 euros, un mélange d’Airbus A380, de fusée Ariane et de serment d’Hippocrate : pompes pilotant un flux d’huile de silicone pour faire « battre » des membranes, microprocesseurs bourrés de lois de commandes, capteurs et accéléromètres en tout genre. Un exploit de 630 grammes consommant à peine 20 Watt. L’autonomie avant recharge n’est encore que de 4 heures mais, avouez-le, c’est de la superbe mécatronique appliquée au médical. L’engin est si sophistiqué qu’en cas d’hémorragie, le cœur est capable de se mettre au ralenti pour maintenir le plus longtemps possible les fonctions vitales.
Mais de cela peu de monde parle, sauf quelques éminents spécialistes, car les scientifiques sont, par éthique, des gens taiseux.
Alors moi, pour cette nouvelle chronique, j’avais envie de vous faire partager cette belle histoire de cœur. Elle n’est peut-être pas très people, mais cela fait du bien de savoir que dans nos laboratoires bat toujours la passion du progrès au service des Hommes.