mercredi 4 avril 2012

Les cures de désintox, ça ne marche pas !


Il y a autour de nous des malades, mais des malades de chez malade. Des incurables de la créativité, des maniaques du brevet, des shootés à la CAO, des innovateurs compulsifs. Des gens ordinaires, rarement exubérants, habités d’une folie quotidienne quasi extatique dont aucun traitement n’a l’air de venir à bout. Pourtant il faudrait trouver un traitement car il y a urgence : l’innovation c’est cher, cela prend du temps et l’échec est assurément assuré. Il suffit de se rappeler les 3 règles qui suivent pour s’en convaincre … et pourtant.

Règle N°1 : C’est évident, il n’y a pas de marché

L’autre jour, je me baladais dans les allées du salon InnoRobo, l’évènement européen de la robotique de service. Si vous avez l’habitude de lâcher votre adorable progéniture, juste avant Noël dans les allées d’un Toys’R us, vous avez une petite idée de l’ambiance de cette foire aux robots hors du commun. Ici, s’exposent les futurs produits du 21ème siècle. Le robot aspirateur a trouvé des copains avec celui qui passe la serpillère et l’autre qui grimpe aux fenêtres pour laver les vitres. Personnellement, j’attends plutôt celui qui fera le repassage, occupation maudite de notre monde moderne. Plus loin des exosquelettes vous font la promesse de vous faire courir le 100 mètres en 10 secondes avec 100 kg sur le dos ou de vous rééduquer en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire (Ah oui, pour ceux qui ne maÎtrisent ni la sémantique helléniste, ni la culture Geek, un exosquelette est une sorte de costume à la Robocop, pas très esthétique, mais qui vous transforme en superman olympien dès que vous l’enfilez). Plus loin encore, des robots d’assistance à la personne vous proposent de vous faire boire, de vous aider à descendre les escaliers ou de téléphoner à votre place. Bref du super gadget qui ne trouvera pas de marché solvable, c’est évident ! Et pourtant … le papa de Nao, un adorable petit robot humanoïde, vient de vendre 80% de sa société pour la modique somme de … 100 millions de dollars.

Règle N°2 : C’est évident, ça ne sert à rien !

Ce qu’il y a de déprimant avec les chercheurs, c’est que, lorsque vous les mettez ensemble, ils se mettent à parler une langue qu’eux seuls comprennent. Je ne parle pas du Globish, l’anglais approximativement international des congrès, mais des ésotériques borborygmes, spécialité des spécialistes. Et cela n’a pas loupé à ICSM, congrès de métrologie des surfaces où l’on passe du statut de personne au QI normalement normal, à celui de mioche salement attardé en franchissant la porte de la salle de conférences. Equations, intégrales, matrices, « yapa-adire », ces chercheurs, ils sont vraiment dans leur tour d’ivoire, loin de toute réalité. C’est évident, leurs travaux, ça ne sert à rien ! Et pourtant … en écoutant attentivement, on apprend que la métrologie des surfaces, cette carte géographique en 3D des objets, est un vrai Sherlock Holmes. Elle sait décrire le régime alimentaire de l’homme de Cro Magnon en regardant ses dents, elle retrouve les vrais couleurs de la Joconde, elle améliore la glisse des skis ou réduit la consommation des moteurs ! Là docteur Watson, ça t’en bouche un coin ! D’ailleurs, à voir le pédigrée des industriels présents, sûr que c’était du lourd.

Règle N°3 : C’est évident, c’est absolument impossible

Dans un hangar aussi gris que banal, du genre de ces constructions que l’on trouve par centaines dans toute bonne zone industrielle, j’ai rencontré il y a quelques jours une créature blanche à la silhouette allongée capable de vous faire monter au ciel, même si ce n’est pas le septième. Pas la peine de fantasmer, elle se rapprochait plus d’un croiseur interstellaire à la Star Trek que d’une Angelina Jolie en mal de nouvelles aventures. Ici, on développe un petit avion biplace de luxe répondant au nom d’Akoya. Pas mal. Mais lorsque vous apprenez qu’il doit décoller, sur terre, neige et eau, vous vous rendez compte que vous avez en face de vous des fous furieux qui n’ont rien compris à l’aérodynamisme, car évidemment, c’est impossible ! Et pourtant … en remplaçant les flotteurs d’hydravion par des hydrofoils, ceux des trimarans de compétition, accessoirement une première mondiale, on découvre que l’impossible devient improbable et que l’improbable se transforme en réalité.

Voilà pourquoi, l’innovation, c’est insupportable. Cela remet toujours en question nos certitudes, cela nous rappelle que d’autres peuvent toujours faire mieux, bref cela nous transforme vite fait en « has been », du genre vieux crouton rassis, si l’on n’y prend pas garde.

Mais pour ceux qui vivent le grand frisson au quotidien, se shooter à l’innovation, c’est le trip assuré, c’est l’excitation de la découverte, le stress du dépassement quotidien, l’enthousiasme de la création.

Alors c’est sûr, les cures de désintox ça ne marchera jamais …pour la désintoxi-nnovation et c’est tant mieux, car ces drogués là, font avancer le monde.