samedi 2 juin 2012

Il est trognon ! Chéri, tu me l'achètes ?



C’est fou comment fonctionne notre mémoire. Des souvenirs que vous pensiez à jamais enfouis, ressurgissent soudain à la surface, telles des bulles de vapeur dans une casserole se faisant réchauffer le derrière sur un feu bienveillant. C’est comme si Marcel, (Marcel c’est mon seul neurone encore actif dans le cerveau), s’ébrouait soudain, générant je ne sais quelle substance psychotrope pour me faire replonger dans des images d’un autre temps.

L’autre jour, en rangeant le grenier, vous savez ce lieu mythique où l’on stocke tous les objets dont on aura forcément besoin un jour prochain (prochain étant, dans le langage des sous pentes, synonyme de jamais), je tombais en arrêt sur un petit carton logoté PTT. Bon pour les jeunes qui n’ont pas la moindre idée de ce que pourrait être un (une?) PTT apprenez que le mot se traduirait aujourd’hui par le terme de : La Poste Orange. Vous voyez, un mélange de gout amer de timbre à coller avec la langue et de vieux téléphone à cadran en bakélite noire. Termes évidemment incompréhensibles à l’heure du mail et du Smartphone.

Mais je m’égare (ça c’est la manie des vieux croutons qui radotent). Donc, je trouve cette boite défraichie et tombe en arrêt sur… mon premier minitel dont l’étiquette me rappelle qu’il est encore « propriété de l’Etat » : une parcelle de la France Colbertiste au milieu de la poussière. Voila bien de quoi pousser plus loin les investigations. Sherlock Holmes, au boulot !

Redescente 4 à 4 des escaliers, passage de la « Bête » à l’aspirateur, histoire de lui refaire une beauté … et de s’entendre dire « t’as rien d’autre à faire que te t’amuser avec des vieilleries », et me voilà replongé 10 ans en arrière. Quoi ? Pas 10 ans ? 15 alors ? 25 ! C’est fou comme le temps passe (encore un signe que je deviens vieux schnok).

Couleurs austères d’un gris et d’un beige délavés : ici c’est du sérieux d’ingénieur, loin des exubérances orange et marron des mobiliers urbains de l’époque ou des couleurs romantico-anglaises de vêtements qui font la joie de nos ados dans les friperies « in ».

Ecran bombé, rappel du tube cathodique noir et blanc. « Dis, c’est quoi papi un tube cathodique ? » Il faudra bien qu’un jour je sache répondre simplement à cette question !

Touches carrées, bien séparées (à l’époque on ne tapait pas tous comme des dactylos). Et puis, ce bouton magique, « connexion », là, en haut à gauche. Vite, retrouver les câbles, les prises, débrancher-brancher le téléphone fixe. Clic clac et hop mise en route. Un petit carré blanc se met à clignoter sur l’écran.

- Chérie, vient voir, le minitel, il marche encore !

Tel un revers bien marqué sur le court central de Roland Garros, je me vois renvoyé dans ma contemplation solitaire par un « arrête tes bêtises et vient parler à tes enfants sur Skype » ! Paf ! Confrontation brutale entre une muséale créature télecommesque et le moderno-numérique triomphant.
Et pourtant que d’histoires se sont écrites autour des 3613, 3614 ou 3615.

Qui pouvait être cette mystérieuse Ulla qui dévoilait ses charmes sur 25 lignes et 40 colonnes ? Fantasme de jeunesse devant une image de 6000 pixels là où aujourd’hui on ne jure que devant des écrans HD à plus 2 millions de pixels. L’époque était à l’imagination émoustillée par le bip strident précédent la connexion. Et ce 3611 Annu qui donnait accès à tous les numéros de France sans passer par la collection nationale des annuaires. Le minitel ? C’est la première révolution verte avant l’heure je vous dis, protégeant bien des arbres et annonçant le malheur des papetiers et des imprimeurs ! Et ce 3615 SNCF qui nous transformait tous en chef de gare, capable d’égrainer le moindre horaire, dans la gare la plus paumée de notre beau pays : un miracle français. Enfin, franco-français, et c’est bien là la maladie mortelle de ce bijou de technologie, sorti des brillants cerveaux polytechnico-enarquiens. La bête eut une belle vie et une sacrée résistance face à la déferlante internet. Il faut dire qu’elle rapportait gros : 60 francs de l’heure, presque 10 euros !

Aujourd’hui Orange, à moins que ce ne soit France Télecom ou l’Etat, nous autorise à garder définitivement nos vieux bijoux télématiques à l’heure où s’éteignent, avec l’arrivée de l’été, les derniers services Transpac. Je sais déjà que demain ou dans 10 ans, dans une brocante, voire même chez un antiquaire ou une salle des ventes, quelqu’un s’extasiera devant cette boite de plastique d’un autre temps : « regarde chou, elle est trognon ! Dis, tu me l’achètes ? ».

En attendant, je vais retrouver, joyeux, les gazouillis du petit dernier qui, un jour, à son tour, aura des souvenirs nostalgiques d’iphone 37s à écran 3D et commande cérébrale !

Quand à toi, mon ami Minitel, tu vas bien devoir l’admettre : c’est l’heure de la retraite !

Alors vive le futur !