vendredi 29 novembre 2013

Ode à la divine seringue

L'autre jour, assis studieusement dans un auditorium, un docte conférencier, enfin pas si docte et même plutôt rigolo, nous balança nonchalamment qu’il y avait un véhicule qui ne crachait que 15g de CO2 au kilomètre. Bon, je sais, ami lecteur, tu te dis que les constructeurs auto ont fait un nouveau bon sidérifiantesque dans la conception de véhicules ecologico-durablo-compatibles. Voire que l’électrique est encore passé par là. Tu connais pourtant ma sensibilité sur ce sujet, mais je te le promets, je ne vais pas m’énerver une nouvelle fois sur le pseudo zéro émission de l’électrique. J’ai quand même toujours autant de difficulté à accepter l’aveuglement de certains, tant il est facile de comprendre que, selon le bon précepte de « rien ne se crée, tout se transforme », le CO2 que ne l’on ne respire plus dans les villes et rejeté plus loin près des centrales thermiques. C’est hélas une complaisante inculture scientifico-mediatico-sociétale ambiante qui donne corps à une bonne conscience bobo-yenne, selon l’autre vieil adage de cours de récréation, « c’est pas moi M’sieur, c’est lui » ! Sous attendu, j’ai payé une blinde pour m’acheter une image écolo, tu ne vas quand même pas encore me demander de réfléchir. Mais je m’égare, je m’égare… et en plus j’ai mon adrénaline qui monte : pas bon à mon âge !

Donc, 15 grammes de CO2 au kilomètre : qui peut bien être aussi respectueux de l’environnement ? Ben, mon coco, pas besoin de chercher bien loin, c’est toi ou moi, quand nous marchons normalement. Fruit de 4 milliards d’années d’expérimentations et de tests, dame Nature a réussi l’exploit d’inventer le 4x4, multi-usages et multifonctions, le plus optimisé de la planète. Je te l’accorde, perspicace lecteur, pour porter des lourdes charges ou filer plus vite que l’éclair, il y a mieux ! Mais enfin, 15 grammes, c’est quand même un truc à rendre malade des armées d’ingénieurs. Si je vous parle de ce sujet, c’est que j’adore, d’ailleurs je devrais plutôt dire j’Adore avec un A majuscule, ce que sont en train de réussir les équipes d’un constructeur au Lion actuellement quelque peu affamé. Allez, vous êtes bien sympa, je vous raconte l’histoire.
Ca se passe quelque part en Région Parisienne, peut-être même au siège du groupe, à une époque où le troisième millénaire était dans sa première décennie

Lui (l’ingénieur) : chef, chef, j’ai une idée.
L’autre (le Big Boss) : euh ? 
Lui : Et si on faisait un véhicule hybride ? 
L’autre : Mais, mon petit, t’es bien gentil mais on en a déjà un. Nous sommes même les premiers au monde à sortir un hybride diesel-électrique. 
Lui : oui, oui chef, je sais, je sais ! Mais c’est pas ça. Si on faisait un hybride… à air comprimé ! 

Pour la suite, de l’échange, je pense qu’il vaut mieux refermer les portes derrière l’abime de perplexité qui, soudainement, a dû saisir l’auditoire mais toujours est-il que le petit ingénieur est reparti avec un ok en poche.

Et c’est bien pour cela que j’adore ce projet. Je l’adore d’abord pour la magnifique prise de risque industriel liée à ce que les anglo-saxons appellent une « disruptive innovation » ou plus simplement une « innovation de rupture » dans la langue de Voltaire. Pour une direction générale, c’était vraiment gonflé de donner un feu vert pour partir à contre courant des technologies dominantes.

Ensuite je l’adore pour le côté totalement « désobéissant » de cette idée. Car comment imaginer une telle solution si on n’a pas une vision un peu décalée, voire totalement déviante des choses ? C’est oublier un peu vite que la force du bon ingénieur, c’est de savoir mobiliser tout son savoir de physicien pour trouver plusieurs réponses à la même question. Ainsi, réduire la consommation des véhicules en ville, c’est avant tout récupérer l’énergie au moment des freinages et la restituer au redémarrage. L’hybride électrique est « facile » à piloter, et on en connait son succès actuel. Mais il a 3 défauts. Les batteries sont chères, lourdes et pas si évidentes à recycler. Pire. Contrairement à ce que pourrait vous faire croire les jolis schémas sur les écrans tactiles des véhicules, on récupère relativement peu d’énergie. Car les lois de l’électrochimie qui régissent nos batteries font que nos petits électrons vont se stocker au chaud à un rythme de sénateur, alors qu’avec l’hybride à air, on est dans le monde de la pure mécanique et du pneumatique. Et là, c’est du quasi 100%. Bon, c’est vrai, je l’avoue, ma description réductrice est une vision idylique proche de la pub lobbyiste, car les défis techniques à relever ont été titanesques.

Et c’est la troisième raison pour laquelle je voue une adoration sans borne à ce projet. Plutôt que de rentrer dans de très lourdes procédures de conception, le projet a été mené en mode start-up. Jugez plutôt : mise en place de 100 personnes quasi cooptées, réunissant toutes les compétences nécessaires, isolées du reste de l’entreprise pour se focaliser sur l’objectif ultime et soumises à un blackout digne des sous-marins nucléaires. Voilà ce qu’a été pendant 2 ans, la vie de ces James Bond geo-trouvetout de l’innovation. A regarder les quelques vidéos qui tournent sur YouTube, on se rend compte de l’excitation de l’aventure et de l’énergie fabuleuse et communicative que peut générer la mise en commun de l’intelligence collective.

And the winner is : un petit écolo-véhicule pas plus cher qu’un classique qui pourrait être produit dès 2016.

 Le plus incroyable dans tout cela, c’est que toutes les technologies existaient. Le génie était de les assembler au mieux. Car sur le principe, cette hybride air n’est rien de plus qu’un lego pour adulte avec un classique moteur thermique associé à un moteur pneumatique dont le réservoir fonctionne comme une gigantesque seringue qui se remplit au freinage et se vide au redémarrage. Tout simplement génial. Voilà pourquoi je voue une adoration sans faille à cette aventure de la seringue.

Espérons qu’elle redonnera à manger au lion !