lundi 7 septembre 2015

MEN IN BLACK ... OU PRESQUE



Vous savez ce que c’est : lorsque la canicule ravage les campagnes, lorsque votre clim a lâché pour la cinquième fois de l’été et que votre bureau, magnifiquement vitré, se transforme en four à pizza, lorsque votre visage prend la couleur de ladite pizza (sans les olives) et que votre chemise n’a plus rien à envier à une serpillère en fin de service, lorsque vous avez la chance inespérée de travailler à côté du plus pur lac des Alpes, toute personne normalement constituée irait piquer une tête dès la fatidique 18h passée. (18h est ici une simple figure de style, à adapter, bien évidemment, au rythme de chacun).

Toute personne normalement constituée, oui … mais pas moi.

Ce jour là, alors que le dardant soleil éclaboussait cette belle journée encore estivale, je m’enfonçais avec délice dans une salle obscure pour retrouver les « Men in Black ». Oui, je sais, je sais, adorable lecteur, tu te dis que voir un énième opus de cette saga futuro multi-planétaire est une ineptie sans nom. Mais tu te dis aussi que ton chroniqueur, peu charitable en ce retour de congés, est déjà en train de te perdre sur des chemins de traverse. Et tu as RAISON !




Car mes hommes en noir sont aussi féminins, ne portent pas de lunettes et ont des instruments qui, loin d’exploser des créatures gélatineuses, avalent des kilomètres de portées.

- Quoi, que dis-tu ? Tu n’es pas plus avancé ? Bon, d’accord, je lève le mystère. Alors qu’Août commence déjà à lorgner sur septembre, Annecy, la petite Venise des Alpes pour les intimes, se pare des plus beaux atouts philarmoniques. Aux cotés des plus brillants solistes et des non moins magiques orchestres symphoniques, croissent, pendant 10 jours, de petites graines de futur, déjà forts talentueuses, qui, pour clôturer leur académie musicale, se jettent dans le grand bain concertant.
- Et oh, chroniqueur, ne t’emballe pas ! Ici ce n’est pas France Culture. Pour la Musique, classique de surcroit, tu as Télérama ou Diapason pour exprimer tes humeurs. Nous, ce que l’on veut, c’est de l’innovation, et de la bonne ! C’est même écrit en haut de la page :
C.H.R.O.N.I.Q.U.E I.N.N.O.V.A.T.I.O.N
- Oui je sais et c’est bien de cela dont je veux te parler car c’est en se nourrissant d’expériences variées que l’on alimente sa curiosité.
- Voila t il pas que tu nous fais la leçon ? Tu ne commences pas un peu à jouer au radotant pépé gâteux? Nous, on la connait par cœur ton histoire ! Il faut savoir sortir du cadre, regarder ailleurs et patati et patata. Alors ce n’est pas avec un orchestre coincé entre ses croches, ses rondes, ses clés de sol et ses tempos calibrés que tu vas pouvoir nous faire la morale.
- Et c’est là que tu te trompes ! Car loin d’être engoncé dans un carcan traditionnaliste, tu as là, ami lecteur, le plus moderne exemple de l’entreprise du futur !
- … ????


D’abord le manageur. Houps ! Pardon, le chef d’orchestre, le jeune et fringant Fayçal Karoui transmet une énergie débordante et une vision très personnelle de sa stratégique (re Houps ! De l’interprétation !!!). Il parle vrai, à la fois bienveillant et réaliste : «En 10 jours, nous avons connu des moments passionnants et parcourus aussi des chemins parfois très chaotiques ».

Ensuite les opérateurs (zut, je ne m’y fais pas : les musiciens) organisés en ilots autonomes ( cordes, bois, cuivres et percussions) sont intimement liés entre eux par des procédures ( partitions). C’est de leur savoir faire que dépendra l’harmonie de l’ensemble. L’oreille détectera le moindre écart dans cette « usine à sons » réglée comme du papier à musique. Ce qui est fabuleux dans cet ensemble hyper normé et hiérarchisé par les chefs d’équipes (les solistes), c’est que chaque orchestre a son propre timbre. Comme si, au-delà des 5 lignes de la portée, l’Homme avait le rôle essentiel. Prenez la Pastorale de Beethoven, archi jouée et archi interprétée. Dans le déluge infini de versions discographiques, il en est une, celle de Carlos Kleiber, interprétée une seule fois en public qui illumine par sa légèreté et son caractère unique. En communion avec le Bayerische Staatsorchester, la maestro innove radicalement tout en respectant scrupuleusement les « normes ».

Dernier message de cette story telling, comme disent les marketeurs anglophonants, l’envie. Nos jeunes académiciens musiciens avaient pour objectif l’interprétation des 3ème et 4ème mouvements de la célèbre Symphonie du Nouveau Monde. Travail redoutable pour maitriser en 10 jours une œuvre technique présente dans toutes les têtes. « Mon coco, t’as pas intérêt de nous tromper sur la marchandise ! » Portés par la fougue de leurs 20 ans , ils ont rajouté en cours de route le second mouvement pour son superbe passage des vents puis, le premier, se disant que le deux sans le un n’avait pas de sens. Et c’est bien cela qui est « magique » : le groupe se fixe à lui-même une ambition au-delà du raisonnable … et la réussit.

L’Homme est au cœur, comme disent les experts de l’Usine du Futur, histoire de rappeler que malgré la précision des machines, malgré la rapidité des robots, c’est l’intelligence et le savoir faire qui font la performance. C’est la connaissance des objectifs qui transcende les équipes. C’est le parler vrai qui entraine l’adhésion.

- Et tu vas où avec tout ça, chroniqueur mélomane ?
- Ben probablement dans un Nouveau Monde, où 7 notes nous rappellent que le sublime, pardon l’excellence, est à portée de main, pour peu qu’on se souvienne que les instruments (les machines) ne sont que des outils et que la réussite est avant tout le fruit de ces drôles de créatures imparfaites mais tellement géniales, issues de 4 milliards d’évolution !