vendredi 15 janvier 2016

Oui, c'est moi, enfin ce qu'il en reste !

Cher Georges,

Oui je sais, je suis un peu familier en t’interpellant par ton prénom. Mais bon, c’est une pratique courante aux Amériques où tu vis, non ? Je ne vais quand même pas dire, cher Monsieur Lucas : toi et moi, on se connait depuis trop longtemps. Enfin, surtout moi d’ailleurs, car celà fait 40 ans que je suis ton adepte, addictif du menu déroulant que tu inventas pour ouvrir les films de ta saga multi planétaire. Je me souviens encore de ce travelling d’ouverture sidéral, interrompu par l’arrivée d’un vaisseau gigantesque venu du fin fond de la galaxie, ou, pour être plus exact, des derniers rangs de la salle de cinéma, par la magie des premiers Dolby Surround Stéreo. Je me souviens de ce survol époustouflant en rase motte de l’Etoile de la Mort, réalisé avec 3 bouts de maquettes, où l’on inclinait la tête en suivant les manœuvres d’évitement de Luke Skywalker. Je me souviens, de cet étonnant maitre Yoda et des non moins innovants sabres lazer qui animaient aussi des combats virtuels dans les cours de récréation. Je me souviens de ta géniale idée de commencer une saga à l’épisode 4, houps pardon IV, car tu utilisais malicieusement les chiffres romains. Je me souviens de ces conjectures de doctes experts sur le pourquoi et le comment de ce début commençant à mi-chemin. Je me souviens de ta capacité à nous faire plonger dans un space opera totalement hors norme.

Oui, cher Georges, je suis réellement un addictif compulsif et un disciple inconditionnel depuis « La Menace Fantôme » jusqu’au « Retour du Jedi ». Oui, j’ai greloté avec toi sur la planète de glace Hoth. Oui, j’ai été « amoureux » de la princesse Leïa. Oui, j’ai adoré que tu nous perdes avec de nouveaux personnages et de nouveaux mondes dans la seconde trilogie, enfin, la première : la déroutante prélogie.

Alors tu comprendras probablement que je sois tombé des nues (sans jeu de mot) en voyant ce septième épisode. Je sais, tu vas me dire que tu n’es plus concerné, ayant vendu pour la modeste somme de 4 milliards de dollars, tes droits d’auteur STAR WARS pour les prochaines années. Mais en te créant un confortable matelas de monnaie, n’as-tu pas vendu aussi ton âme au diable du marketing ? En fait, en découvrant « Le retour de la Force », j’ai compris que je voyais probablement le premier film issu du Big Data. Ne te méprends pas ! La réalisation est bien léchée. Le mélange images de synthèse/images réelles est simplement parfait. Le nouveau petit robot BB8 est trognon. Mais j’ai vécu en accéléré toutes les références des 6 épisodes de Star Wars sans retrouver l’émotion passée. Peut-être que je vieillis ! Remarque, ce n’est pas grave pour les jeunes nouveaux boutonneux qui découvrent ainsi « ton » monde. Mais n’as-tu pas flingué au passage les légions de vieux croutons dont je fais partie ?

Je vois bien ce qui a dû se dire dans les bureaux de la direction de Disney entre les vieux directeurs (un directeur c’est has been par principe) et les jeunes geeks de data mining (une génération Y est fringante par nature). 




- 4 milliards de dollars pour un western de l’espace ! Quel est le c.. qui a signé cette folie !
- Non, non boss, le Big Data nous montre que l’on va rentrer dans nos fonds dès le second épisode. Il suffit de suivre le modèle.
- Are you kidding, guy ?
- En fait, il suffit de reprendre les vieilles recettes que vous aimez (les jeunes geeks savent super bien flatter les vieux managers) et de les confronter aux attentes que nous avons modélisées au travers des milliards de données issues des réseaux sociaux. Tiens, l’amour improbable entre la princesse Leïa et le contrebandier Yan Solo. Ca avait fait un tabac. On va les remettre en état de marche, histoire de flatter les vieux, houps pardon les inconditionnels de toujours, et on va réitérer avec du sang neuf. Il suffit de trouver une jolie rebelle et de l’associer à …
- Oui, à qui ? On va pas reprendre un autre senior relifté des Aventuriers de l’Arche Perdu.
- Non, non ! On va choisir un Star Trouper. L’ennemi juré. C’est bien ça ! Un gars de l’Empire qui revient du bon côté de la force. C’est même consensuel. En plus, les datas prouvent que si on choisit une personne de couleur, cela entrainera des sympathies ethniques majeures. Du business en plus.
- Mais c’est génial votre machin data. Et pour Yoda qui est mort de sa belle mort, on fait quoi ? On ne va quand même pas le ressusciter.
- Pas la peine, Boss ! Ce que veulent les spectateurs, c’est retrouver une certaine vision de la sagesse. On a fait tourner nos modèles et une petite vieille, toute fripée mais avec de grands yeux profonds permet de retrouver l’adhésion d’une majorité. Idem, on va refaire une grosse attaque, d’une bien plus grosse Etoile de la Mort (merde on en veut pour 4 milliards !). 100% du panel en redemande.
- Hey, les petits gars, faudra que je vous confie d’autres scénarios si ce que vous dites est vrai.

Alors Georges, ce n’est pas un peu cela qui s’est passé ? Tu sais, j’en ai gros sur la patate et sans doute toi aussi. D’ailleurs, tu as été tenu éloigné de la nouvelle réalisation. Un vieux grognon comme toi n’aurait pas pu laisser faire !

Et moi aussi, je grogne ! Car au-delà de ce scénario parfait mais dénaturé, c’est un futur totalement modélisé qui me fait peur et qui me révulse. Le big data est la plus belle et la plus terrible des choses. Efficace, le big le sera dans tous les cas. Utile, il le sera évidemment en trouvant des relations pertinentes entre des données à priori totalement ésotériques. La smart city sera gavée de big data pour optimiser les consommations énergétiques ou réduire les embouteillages. Le médecin pourrait améliorer ses diagnostics avec quelques suppositoires au big data concentré. Les assurances feront les yeux doux à leurs monstrueuses bases de data pour le meilleur ou pour le pire de notre prime annuelle. Mais la big data c’est aussi anticiper nos comportements et là, pour moi, ça coince. Que nous le voulions ou pas, la vague du big data sera big, mais vraiment très big. Elle nous submergera toi et moi, mais essayons de ne pas l’utiliser pour tout et n’importe quoi.

Je sais ce que tu vas me rétorquer, Georges. Monsieur Disney te souffle dans l’oreille que sa méthode est la bonne. Et il te le prouve, jour après jour, en faisant de STAR WARS la plus belle « cash machine » de l’histoire du cinéma et des produits dérivés. Et hélas, il a mille fois raisons ! Mais a-t-on réellement besoin de produits «parfaits » … et sans saveur ? Le STAR WARS de demain doit-il être le Mac Do cinématographique global du 21ème siècle : identique partout, sans accroc, sans surprise, sans saveur. Un produit lisse, un simple « machin » utilitaire que l’on prend et qui ne laisse pas le moindre souvenir.

Alors oui, ami Georges, STAR WARS est passé du coté obscur de la data force. Mais j’espère qu’avec ton petit pactole de dollars tu me feras à nouveau frétiller en mobilisant ton intelligence créative et exubérante. Tu le sais comme moi, ce ne seront ni l’intelligence artificielle ni le big data qui enfanteront les Leonard de Vinci, Rodin, Eiffel ou Visconti de demain. On ne crée pas de chef d’œuvre avec une photocopieuse. L’innovation de rupture est dans nos neurones, pas dans les bits des ordinateurs.

Georges, reprend la main, c’est ton ami inconnu qui te le le demandes afin que Yan Solo ne puisse plus jamais dire : « oui c’est moi, enfin ce qu’il en reste » ! Que la force soit avec toi !

André Montaud
am@thesame-innovation.com