Une vision iconoclaste et humoristique de l'innovation et des nouvelles technologies.
jeudi 18 février 2016
C'est un truc de malade !
Une des grandes difficultés d’une chronique innovation, c’est de trouver LE titre accrocheur qui gardera en haleine quelques lecteurs absolument pas concernés par le sujet. Cette fois-ci, j’aurais pu essayer le très élitiste «La mort en direct », genre Télérama. Mais qui se souvient encore de cette admirable interprétation de Romy Schneider dans un film visionnaire de Bertrand Tavernier ? J’aurais pu rejouer le « Plus belle la vie » qui a fait exploser tous les compteurs de mon blog innovinnov. J’aurais pu être tenté par la subtilité du X : « Vibrations au 7ème ciel » ou me contenter de la description cartésienne du sujet : « tenseur métrique et invariance de Lorentz ».Mais j’ai préféré retranscrire, ce qui a suivi mon « wouah », après l’annonce de la détection des ondes gravitationnelles : « un truc de malade ».
Bon, je sais, dit comme ça, le sujet n’est pas plus excitant que l’annonce du prochain loto dans une salle des fêtes méconnue, même si, dans ce cas, il y a un prix Nobel à la clé. C’est tout le problème avec ma chronique. Filer moi un thème sur le prix de l’essence, l’Euro de foot ou la météo du prochain week-end et je suis le roi du monde ! Mais les ondes gravitationnelles, non mais, comment vais-je récupérer l’avocat éloquent, le décolleteur usino-futuriste, la ménagère de 50 ans té-èfunienne, l’économiste boursicoteur ou l’agriculteur biocoopérateur ? Et pourtant,l’annonce faite 3 jours avant la Saint Valentin est un vrai truc de malade. Un truc à rendre amoureux de la science, des légions de jeunes boutonneux en manque d’expériences émoustillantes.
Commençons par le plus facile, expliquer ces machins gravitatioschtroumphs. Un copier-coller de Wikipédia fera bien l’affaire :
« Les ondes gravitationnelles sont définies comme les perturbations de la métrique qui du point de vue des équations d'Einstein sont découplées des perturbations du tenseur énergie-impulsion. Les ondes gravitationnelles ont une symétrie tensorielle (mathématiquement, on parle de spin 2), par opposition aux perturbations de la matière».
Malaise : là, je pense qu’ils avaient un schtroumph farceur chez wiki. On va essayer de faire plus simple. Les ondes, on est baigné dedans depuis tout petit. Il y a les ondes sonores, qui se déplacent dans l’air et vous permettent d’entendre le rossignol ou le vacarme du marteau-piqueur. Il ya les ondes électromagnétiques bien utiles pour faire réchauffer votre plat favori ou pour écouter NRJ et France Bleue Pays de Savoie. Ici, ce sont des électrons véloces qui sont en action, sauf que certains sont cuisiniers alors que d’autres sont musiciens ou attachés au terroir. Pour la gravitation, c’est pareil. Si on accélère très vite un objet qui a du poids, disons une Ferrari Testarossa ou une Porsche 911, celui-ci va générer des ondes gravitationnelles. Ca semble improbable, et pourtant c’est vrai, c’est même Einstein qui l’a dit en…1916. Le hic, c’est que la taille de ces ondes est microscopique. Du genre microscopique de chez microscopique. Alors, avoir une micro chance de les observer relève du miracle. Il faut des évènements très particuliers avec des objets monstrueusement massifs : des dizaines de soleils condensés dans une sphère de quelques kilomètres. Dans le jargon des astronomes on appelle cela des étoiles à neutrons ou des trous noirs.
Donc admettons : on a la bosse des maths, on comprend par cœur Einstein dans le texte, on fait des savants calculs et on se rend compte que si deux objets méga massifs tournent l’un autour de l’autre, ça a va freiner un max parce que les ondes gravitationnelles vont pomper de l’énergie. Mais vous savez comment est le genre humain. Même s’il a la preuve indirecte du résultat, même si la théorie fonctionne, il veut voir en vrai ! Il veut toucher ! Nous sommes tous des Saint Thomas en puissance : il faut voir pour croire.
Et là, les choses se gâtent. Il vous est évidemment arrivé de jeter un caillou dans l’eau et de voir se former des ondes concentriques qui s’éloignent du point d’impact. Plus elles sont lointaines, plus elles sont petites. Bon, alors imaginons que maintenant vous soyez à la pointe de la Bretagne et que vous jetiez ledit caillou dans l’Atlantique. Oui, je sais, il pleut mais ça n’a pas d’importance. Vous passez un coup de fil, à Bill, votre copain de New-York et vous lui demandez de vérifier quand arriveront vos perturbations caillouteuses. Il va vous prendre pour un fou et il aura raison. Entre les tempêtes, les courants, les vagues, il aura fort à faire pour repérer votre signal. Et bien, cela c’est facile par rapport à ce qu’ont dû imaginer les astronomes pour détecter un bruissement d’un moustique gravitationnel dans le vacarme d’un Concorde universel au décollage. C’est tellement dur, qu’ils se sont cassés les dents pendant des dizaines années.
Les « télescopes » à ondes gravitationnelles, s’appellent des interféromètres de Michelson, un engin vieux de plus de 100 ans et bien connu des opticiens et des mécaniciens, lorsqu’on veut mesurer des surfaces sans défaut. Dans le cas présent, la bête en forme de L majuscule fait deux fois 4 kilomètres de long. Un laser envoie son faisceau dans les deux bras. La lumière est réfléchie au bout du voyage par des miroirs. En revenant au point de départ, les photons, en se recombinant, forment des interférences : des bandes blanches et noires. Si la longueur des bras évolue de façon différente, ce qui est le cas lors du passage d’une onde, les interférences seront différentes. Le principe est simple, la vraie vie franchement plus complexe : il faut atténuer les vibrations de la terre, faire un vide poussé dans l’instrument, corriger le bruit de fond électronique et tenter de trouver un micro signal dans tout cela. Un vrai truc de malade !
C’est pourtant ce qui est arrivé le 14 septembre 2015 à 9h50mn45s (T.U). A cette heure là (la pleine nuit aux USA) c’était l’Europe qui était de garde pour surveiller l’instrument. Un post-doc (une sorte de thésard +++) est alerté par un drôle de signal de 0.2 seconde. Je ne sais pas si vous saisissez bien la scène : pendant des jours, des semaines, des mois, il ne se passe strictement rien et puis soudain, un PFFFFUIIIIT d’un pouillème de seconde. Si le gars était allé se faire un café à ce moment là, rien, nada. Bon, il appelle son chef qui croit d’abord à un test pour vérifier que les équipes sont toujours en alerte, il croit ensuite à une erreur, mais après 15 jours de contrôle, le résultat tombe : deux trous noirs à 1 milliard d’années-lumière se sont effondrés l’un sur l’autre. Ils ont déclenché un monstrueux cataclysme qui a dégagé autant d’énergie que toutes les étoiles du ciel réunies… et balancé les fameuses ondes gravitationnelles à l’autre bout de l’Univers.
L’histoire est belle à plus d’un titre. D’abord la découverte est celle d’un italien, travaillant en Allemagne sur un instrument américain : fabuleuse intelligence mondiale. Ensuite, c’est le résultat d’un acharnement technologique qui a poussé les limites des industriels au-delà de tout ce que l’on savait fabriquer en mécanique, électronique, optique, informatique. Enfin, c’est la beauté de l’acte gratuit : malgré les difficultés budgétaires, malgré des arbitrages politiques souvent douloureux, la grande Science a encore pu jouer son rôle, celui qui prouve que l’Homme est une étonnante créature, curieuse de nature et jamais satisfaite de son savoir.
Un truc de malade, je vous dis !
André Montaud
NB. Je tiens à m'excuser auprès de tous les physiciens pour mes approximations multiples qui n'ont pour d'autres buts que de faciliter la tache de votre dévoué rédacteur et des valeureux lecteurs qui ont franchi sans encombre toutes ces lignes gravitationnelles !
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