Au fin fond de la savane, un éléphant regardait passer un vol d’oies sauvages. « Je suis le plus grand des animaux, on me respecte pour ma sagesse mais je ne peux pas m’élever dans les airs. »
Volant au dessus des flots, un goéland regardait vers le ciel. « Je suis capable de résister aux tempêtes, je peux franchir les océans, mais le soleil va toujours plus vite que moi. ».
Sur une plage tropicale, une araignée admirait la lune. « Je suis ici sur le sable chaud, mais la belle sélène me reste à tout jamais inaccessible. Pourtant je voudrais bien tendre mon fil vers ce brillant joyau ».
Tous les trois, allèrent faire part de leur demande au roi des animaux. Celui-ci, après les avoir longuement écoutés, leur délivra ce message. « Pourquoi considérez-vous les barrières comme infranchissables ? Vos rêves doivent être des moteurs et pas des sources de frustrations. Volez, courez, sautez sans limites et rien ne vous résistera. »
Ils s’appelaient Jumbo, Concorde et Apollo. C’était il y a bien, bien longtemps sur une autre planète, dans un tout autre millénaire.
Si je vous raconte cette fable, c’est que nous célébrons, par une curieuse coïncidence, les 40 ans des premiers vols du Jumbo 747, du Concorde 001 et de l’arrivée du premier homme sur la Lune.
Cette étonnante conjonction ne doit rien au hasard. Rappelez-vous ! 1969, c’est l’époque où l’industrie est reine, où le summum de la réussite est d’être ingénieur. Epoque de l’innovation technologique à outrance. Ere des « techno boys ».
Le 747 est le cri de survie génial d’une société Boeing qui venait de perdre un énorme marché de gros porteur militaire.
Concorde est la réponse réussie des « vielles nations » au projet concurrent de HSCT de l’oncle Sam.
Apollo siffle la fin de partie entre l’URSS et les USA dans une course effrénée aux lanceurs spatiaux de grande puissance.
3 projets qui, chacun à leur manière, ont marié un rêve d’ingénieurs et un esprit politique visionnaire.
Boeing voulait répondre avant l’heure à une demande du tourisme de masse.
Concorde marque la volonté d’un De Gaulle de construire une aéronautique européenne indépendante.
Apollo, c’est la force d’un Kennedy pour entraîner toutes les énergies d’une nation dans un match où la première mi-temps était en faveur des « hommes en rouge », avec le succès de Spoutnik et de Gagarine.
Mais ces trois projets, malgré la charge du symbole qu’ils représentent, marquent aussi la fin de l’époque de l’ingénieur roi ! 1969, c’est l’apothéose de ce que certains ont appelé les Trente Glorieuses et dont on tire le rideau de fin, en 1973, avec le premier choc pétrolier.
Le cycle économique suivant n’a pas de nom. On pourrait suggérer celui des Trente Oublieuses, car nos pays occidentaux « oublient » les fondamentaux de l’industrie pour se jeter à corps perdu dans les services et la finance. Fini les ingénieurs et vive les golden boys !
L’araignée, l’éléphant et le Goéland, synonymes des grands succès de cette société du virtuel s’appellent Google, Vivendi ou Lehman Brothers.
En fait, c’est plutôt le monde occidental qui bascule, en considérant avec un certain dédain cette industrie qui a pourtant été créatrice de valeur. Les pays émergeants d’Extrême Orient connaissent des « trente glorieuses » à un rythme accéléré, alors que nous créons des bulles : bulle des matières premières, bulle immobilière, bulle Internet, bulle des subprimes.
Remarquez ; cela n’est pas tout négatif ! Durant ces Trente Oublieuses, le monde est devenu global, nous permettant de nous approvisionner dans un supermarché planétaire. Une télé coréenne, un téléphone finlandais, des chaussures italiennes, un jogging indien, une voiture française, un ordinateur américain, voilà bien notre quotidien.
Oui mais, la fin de ces « Trente Oublieuses », avec la monstrueuse crise qui nous submerge, nous laisse un goût amer en bouche. Une sorte de grand KO généralisé.
Pourtant ne soyons pas nostalgique de ce fabuleux exploit qui a fait vibrer l’Humanité toute entière en ce mois de Juillet 1969.
En sortant de la crise actuelle, nous entrerons dans un nouveau cycle des trente quelque chose, puisque notre monde moderne fonctionne avec cette régularité de « métronome de génération ».
Certains disent que ce sera l’ère des « green boys », celle d’une humanité respectueuse de son environnement, nourrie à coup de bons sentiments Al Goresques ou Yan Arthus-Bertrantesques et de peurs calorifico-climatiques. Je crois plutôt que nous aurons un mixte des deux derniers cycles, associé de quelques touches vertes. Redécouvrir la valeur de son industrie, être capable d’y adosser des services de qualité sans oublier la maîtrise des ressources naturelles, voilà bien le grand enjeu.
Mais, car il y a un mais, il est difficile de faire rêver lorsqu’on parle de budget et de simple comptabilité. Choisir un objectif ambitieux, innovant, sans compromis et expliquer pourquoi on veut l’atteindre, voilà bien le véritable enjeu de ce début de troisième millénaire. Il est temps de redécouvrir l’économie romantique, celle du Politique visionnaire, qui, seule peut réellement enflammer les foules.
« Nous choisissons d’aller sur la Lune dans cette décennie. Non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile. Parce que ce but servira à organiser, à mesurer le meilleur de nos énergies et de nos connaissances. Parce que c’est un défi que nous sommes prêts à relever. Parce que c’est un défi que nous ne voulons pas remettre à plus tard. Parce que c’est un défi que nous avons l’intention de gagner ».
C’est de John Fitzgerald Kennedy, un 14 octobre 1962, sept ans seulement avant le célèbre : “Ok, contact light. Houston, Eagle has landed”
Oui l’aventure continue … Il faut seulement la réinventer, parce que c’est notre raison d’être.