Cela aurait pu être une belle histoire, celle que l’on aime raconter le soir dans les chaumières.
Voyez le décor : des enquêteurs de « police scientifique » réunis par centaines. Des témoins réconfortés qui, malgré une très longue attente de 50 ans, vont enfin connaitre le coupable. Et puis le Président de séance, tout auréolé de la puissance des révélations qui, majestueusement, prend la parole.
- Faites entrer l’accuséLà, silence total. Pas un mouvement, rien. Et puis une voix fluette de greffier se fait entendre :
- Heu, Monsieur le Président, il n’est pas là le coupable. Il est même insaisissable. Mais c’est sûr, il a laissé des empreintes indélébiles. On le tient, c’est sûr, enfin, à 99,999%.
- Bon, d’accord, on va faire comme si.
- Prénom
- Boson
- Nom
- De Higgs
- Ah ! C’est un noble ?
- Non, c’est une particule !
- Oui, c’est bien ce que je dis : « de » est une particule, donc « de Higgs » est un noble.
J’arrête là ce début de pièce de boulevard, car ce qui s’est passé le 4 juillet 2012 au CERN était autrement plus sérieux.
Cela aurait pu être une belle histoire belge ou écossaise, celle de deux vieux messieurs qui, par la force de l’esprit poussent la théorie à ses limites et annoncent : « là, il va y avoir quelque chose de gros. Voilà les indices mais c’est à vous de la trouver ». Et puis au moment où on la trouve, la chose, un demi-siècle plus tard, eux, les vieux messieurs, dans une modestie infinie alors qu’on leur prédit le Nobel, considèrent que la plus importante des choses est de vivre une retraite heureuse et de trouver le moyen de fuir les médias.
Cela aurait pu être une belle histoire politico-financière. Une histoire d’influence, de coup de bluff, d’arbitrages géopolitiques. Celle d’une machine, la plus grande et la plus complexe jamais construite par l’homme. Une machine qui a englouti les meilleurs cerveaux de la planète pendant des dizaines d’années. Une machine qui s’est gavée de près de 5 milliards d’euros et de 120 Méga Watt pour accoucher d’une des plus belles découvertes de la Physique Moderne.
Cela aurait pu être une belle histoire pour les médias, mais comment voulez-vous expliquer l’inexplicable ? :
Le boson de Higgs est le quantum du champ de Higgs qui donne une masse non nulle aux bosons de jauge de l’interaction faible leur conférant des propriétés différentes de celles du boson de l’interaction électromagnétique, le photon.
Je vois la tête du rédac’chef recevant la dépêche de l’AFP, et courant dans les couloirs à la recherche du bizuth stagiaire à qui il allait pouvoir confier le sujet.
On a alors vu fleurir dans les journaux, les télés et les radios : « la particule de Dieu enfin découverte », un titre sentencieux qui ne supporte aucun commentaire.
« Si c’est Dieu qui est dans le coup, alors les mecs, on s’écrase » !
Et pourtant, ce délire métaphysique qui fait toujours hurler les scientifiques, traine dans les rédactions depuis que le manuscrit de 1993 du prix Nobel Leon Ledermann « The Goddamn particule » (Putain de particule pour les anglophobes) est devenu « The God Particule » (La particule de Dieu) dans l’édition originale du livre du même nom.
Cela aurait pu être une belle histoire à vous raconter. Celle de la naissance de l’Univers apparu au milieu de rien, le rien ne voulant d’ailleurs rien dire. Le splash du Big Bang avec ses températures infinies, infinies n’ayant d’ailleurs aucun sens. Un machin simplement compréhensible avec des équations pour QI 380 au minimum. Et puis là, miracle, replash, la Brisure Spontanée de Symétrie (c’est le nom savant), un autre machin qui fait qu’aujourd’hui, je peux écrire ces lignes. Dans ce temps si lointain où le temps ne voulait pas dire grand chose, l’Univers s’est organisé en onde, la lumière, et en particules, qui ont donné des atomes et, accessoirement, Bibi votre chroniqueur.
Et le boson dans tout ça ?
Et bien le petit Higgs fait que les particules pèsent ou pas. Un gars super génial du Cern explique cela en montagnard. Imaginez un champ de neige : le champ de Higgs. Avec des skis, vous le traversez, facile, comme les photons de lumière au travers de l’Univers. Avec des raquettes, vous fatiguez un peu, mais avec des chaussures, vous vous enfoncez beaucoup. Vous « pesez » plus lourd. C’est pareil pour les particules avec Higgs : on parle d’interaction.
Je vous le dis, cela aurait pu être une belle histoire, mais un « Et Bibi, t’as des barres ? » me sortit de ma réflexion. Moi : « Euh ? Oui ! Ah Non, j’ai rien ». Je secoue la petite boite, réflexe stupide : toujours rien ! J’appuie sur le on-off puis je redémarre : toujours rien. Pas la moindre barre à l’horizon. Pas de téléphone, pas de 3G et donc pas d’Internet mobile. Je suis vert de rage, enfin plutôt orange ! Cette chronique, elle doit pourtant partir aujourd’hui. Vite recopier sur un A4, à la va vite, trouver un café. « Bonjour M’dame, vous avez un fax ? ». Ouf, la chronique sera quand même publiée à temps grâce à la vieille technologie : ce n’est pas tous les jours que l’on sait que Dieu existe à 99,999%, même s’il oublie, dans ses miracles, les opérateurs téléphoniques.
Et ça c’est une sacrément belle histoire : une vie sans SMS ou sonnerie intempestive !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire