lundi 2 septembre 2013

Le Kamasutra favorise l’innovation !




C’est fou la puissance du marketing. Regarde ami lecteur - car tu es bien en train de lire ces lignes, hein ? -, j’aurais simplement écrit en titre « une chronique de l’innovation » et mon audience aurait chuté de 90% avant même de commencer. Mais, en rajoutant pernicieusement le mot Kamasutra, je capte quelques uns de tes neurones, je suscite une micro poussée d’adrénaline, j’exacerbe ton sur-moi Freudien. Bref, même si tu t’en veux déjà d’être tombé dans le piège, nous avons entamé, tous les deux, une aventure épistolaire depuis déjà une bonne centaine de mots. Pire, tu seras totalement enserré dans le filet de ta curiosité, lorsque tu comprendras que j’ai rencontré le Grand Schtroumpf.

Bon là, je sais, tu te dis - car je te connais trop bien - , « il en fait trop, il nous refait le coup du coup de soleil qui lui a tapé sur la tête ou des effets imprévus du petit rouge dégotté au fin fond d’une de nos belles campagnes, lors d’une chaude journée estivale ». Mais non, j’ai réellement rencontré le Grand Schtroumpf. Enfin, presque ! Certes, il n’était pas bleu et ne portait pas le célèbre bonnet retroussé, il était un peu plus grand mais il avait la barbe, la démarche, la sagesse et surtout la malice de son célèbre modèle.

En fait, j’ai eu la chance d’écouter l’inventeur de la Swatch.

- Toi : « Mais Hayek est passé de vie à trépas ! »
- Moi : « oui, mais pas lui, l’autre ».

Facile, là, je frime un peu car je suis le premier à être tombé dans le panneau. Un « physicien financier » comme Hayek, fut-il le plus brillant du monde, ne se transformera pas facilement en ingénieur horloger. Une montre, au risque de briser quelques rêves, c’est d’abord des rouages, tourbillon et autre balancier… avant d’être l’objet de nos désirs les plus fous.

Notre grand Schtroumpf a donc un nom Elmar Mock, et sa principale caractéristique est d’être toujours aussi impertinent et révolté qu’un ado… à un âge certain où l’expérience a normalement déjà usiné pas mal de convictions et d’idéaux. Les propos en sont d’autant plus percutants, que le « bonhomme » a abandonné la sécurité du groupe horloger pour vivre l’aventure de l’entrepreneur depuis une paire de décennies. Mieux, il fait vivre ses équipes en vendant des idées avec une belle tripotée de brevets.

L’histoire de la Swatch avant la Swatch est, en ce sens, édifiante : révolte de deux jeunes « désobéissants » (Mock et Müller) qui « s’ennuyaient » dans la routine (ben oui, les générations Y existent à chaque génération) et d’un patron assez visionnaire (Ernst Thonke), qui, contre l’avis de l’institution, leur a fait confiance. La période était sinistre, l’horlogerie suisse étant balayée par les montres low cost arrivant du Japon. Pourtant l’idée d’une montre qui ne se répare pas restait inconcevable dans un monde où la breloque devait durer une vie avec des passages réguliers chez l’horloger du coin. Cette montre là, même si elle réduisait drastiquement les coûts ne pouvait normalement pas voir le jour. En cassant les standards, en déraillant volontairement quand le système les poussait sur des rails bien rectilignes, les jeunots d’ETA SA – manufacture horlogère allaient déclencher une révolution. La vie technique fut loin du long fleuve tranquille entre les délais à rallonges, les protos qui ne démarraient pas et ceux dont les aiguilles tournaient à l’envers… et pourtant, ils réussirent (c’est fou l’énergie des minots quand on leur fait confiance !).


Mais voilà, que faire avec cet ovni horloger qui ne rentrait dans aucun catalogue ? Un outil de promotion que l’on offre gratos ? Un machin que l’on distribue comme les stylos Bic ou les piles Duracell ? Une montre parmi d’autres ? Dur, dur d’inventer le marché qui n’existe pas encore. Après des échecs cuisants que l’on a oubliés aujourd’hui, le coup de génie, venu de l’extérieur de la société, fut de transformer la Swatch en produit de mode dont on change comme de chemise. Le savoir-faire de l’ingénieur, du marketeur puis du distributeur qui voulut 2 collections de 12 modèles par an, finirent de transformer l’essai : les 10 000 ventes programmées se transformèrent en 100 000 réelles avant de connaitre le succès mondial d’aujourd’hui.

De cette expérience, notre SwatchSchtroumpf tire plusieurs enseignements qui s’appliquent à nous tous, que l’on soit industriel, banquier, restaurateur, boulanger ou maçon. Et au passage, il distribue quelques baffes.

Une claque à la frilosité. Les grands succès de demain, réellement innovants, ont à la base un germe révolutionnaire remettant fondamentalement en cause les « évidences » d’aujourd’hui.

Une claque à ceux qui parlent sans savoir. Pire qu’un abus de langage, c’est un péché mortel de mélanger « l’innovation » et « la rénovation ». La première invente. La seconde optimise, réduit les coûts, améliore. Elle est essentielle mais, si on s’en contente, elle aboutit à une impasse. Pour l’avoir oublié, certains acteurs de la téléphonie mobile sont aujourd’hui proches du cimetière !

Claque enfin au pilotage d’entreprise purement financier. Bien manager l’innovation c’est aussi savoir faire cohabiter trois types d’individus aussi dissemblables que les trois états de la matière gaz- liquide-solide.

Les gazeux, explorateurs créatifs ne peuvent pas vivre, par nature, dans un monde de processus et de procédures. Ils s’épanouissent en sortant du cadre. Ils adorent la liberté, l’utopie, le chaos. Ils excellent dans la pression du dernier moment ! Vue de l’extérieur, c’est du grand n’importe quoi. A l’inverse, les solides, hommes de production, sont logiques, structurés, efficaces. Ils prévoient, quantifient, calibrent. Leur quotidien est fait de qualité et de performance. C’est le monde des « cristaux » parfaitement ordonnés. Et comme dans la nature où la vapeur et la glace ont du mal à cohabiter, les « créateux » et « producteux » ne se comprennent pas facilement. D’où l’indispensable interface liquide, les développeurs, suffisamment perméables pour digérer les gaz et souples pour glisser sur les cristaux : de drôles d’individus capables de transposer l’idée « artistique » en produit « rentable ».

Vous l’avez compris, Mock n’est pas qu’un grand Schtroumpf, c’est un véritable alchimiste de l’innovation.

- Hola, hola ! Tu es bien sympa sous ton gentil air de chroniqueur moralisateur, mais tu es un fieffé menteur. Point de Kamasutra dans tout ça ! Aurais-tu changé de position ?
- Mais non ami lecteur, j’ai gardé le meilleur pour la fin. Toujours d’après Mock, lorsqu’on a conçu un bébé, on préfère souvent raconter l’histoire de Cendrillon que les « techniques » employées au fin fond d’une chambre ! Il en est de même en innovation. Le marketing va construire un bel écrin pour le produit avec un « storytelling » adapté. Mais, derrière cette belle façade, il ne faut jamais oublier la transpiration, l’énergie, les échecs, les joies et les peines des créatifs, des développeurs, des exploitants qui ont unis leurs efforts. Mais cela ne se raconte pas !

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