vendredi 3 janvier 2014

LA VICTIME DU VENDREDI NOIR



C’est toujours difficile de se renouveler pour tenir le rythme d’une chronique mensuelle, fut-elle innovante. Cette fois, j’aurais pu plagier un Jean de La Fontaine :

Une voyeuse vit un lointain brillant
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas plus lumineuse qu’un vers luisant
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler le beau en splendeur,
Disant : "Regarde bien, futur admirateur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
- Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point.". La chétive pécore
s’enflamma si bien, que, soudain, elle s’évapora.


J’aurais tout aussi bien pu faire appel au mythe d’Icare assaisonné de grandiloquence Victor Hugo-ienne


« La lointaine vagabonde se sentit grisé par son vol audacieux. Dans son désir d’atteindre la brillance suprême, elle dirigea toujours plus haut sa course. Mais les rayons ardents du vaillant Phébus, bientôt, sa surface affaiblirent. Des marées insensées la privèrent de substance et son corps à jamais devenu informe, fut englouti dans des torrents de flammes impétueux. »

Mais avec un tel titre, « victime du Vendredi noir », rien ne pouvait surpasser le suspens d’une bonne nouvelle policière.

Revenons donc quelques temps en arrière.

Comme si on la croyait déjà coupable, elle obtint rapidement son matricule : C/2012-S1. Très exactement, dès que Vitali Nevski et Artyom Novichonok, deux brillants détectives russes, découvrirent pour la première fois son existence en septembre 2012. Elle se faisait pourtant très discrète, mais vous le savez bien, rien n’échappe aujourd’hui à la police scientifique. D’ailleurs, en exploitant les moindres indices on retrouva sa trace, un an plus tôt, sur des images d’archives, nouveau succès de la vidéo surveillance. On suspecta qu’elle pouvait venir de la mystérieuse région d’Oort. Mais c’est son côté show bizz qui fit rapidement sa réputation. Très vite, en effet, on découvrit qu’elle avait un talent fou, certains la déclarant même star du siècle, probablement à cause de son visage si lumineux. Enfin, c’est ce que l’on espérait, car elle n’était qu’à son tout début de carrière. L’emballement médiatique n’arriva que plus tard. La moindre information était triturée pour devenir un titre tonitruant. Une couleur verdâtre, signe de cyanure se transformait en «Va-t-elle empoisonner la terre entière ?». La plus anodine image, bien plus floue que ce que réussissaient généralement les paparazzis patentés, devenait un scoop planétaire. On annonçait une action majeure pour Noel, un embrasement général. « C’est bon ça, coco, pour l’audience ». Pourtant, les experts n’étaient encore sûrs de rien. Des doutes majeurs subsistaient sur son tour de taille. Boudinée ou svelte, cela changeait tout. « Ah, mon bon monsieur, quoique l’on en dise, la dictature de la silhouette parfaite est loin d’être éteinte ! ». Et puis, elle avait cette satanée manie de se montrer radieuse quand on la croyait fade et réciproquement. C’est peut être à cela que l’on reconnait les très grands artistes. En novembre 2013, alors que les projecteurs de la notoriété la traquaient, elle se mit à briller de mille éclats. Tous les espoirs étaient permis. Ses sorties matinales attiraient des badauds dans le froid piquant de l’hiver. Mais voilà, comme souvent, les fins de mois sont tragiques, et pas seulement pour les comptes bancaires. Elle approcha si près de la lumière crue des sun lights qu’elle se brula définitivement et disparut dans un dernier éclair.

Du sang et des larmes : parfait pour l’audience. « Aller, on remballe. C’est quoi le prochain sujet maintenant, coco ? ».

Le prochain, c’est l’histoire vraie. Car la star avait un prénom, ISON, et elle était comète de son état. Pas facile de faire de la grosse science à la sortie des réveillons. Sachez seulement que les comètes restent, pour les scientifiques, des astres quelque peu malicieux. Venues du fin fond du système solaire, ces boules de neige sale s’approchent parfois du soleil et nous gratifient alors, dans quelques très rares cas, du magnifique spectacle d’une étoile prolongée par une immense queue lumineuse couvrant une large partie du ciel. Ce fut le cas en 1680, en 1910 ou en 1965. En dehors de ces moments exceptionnels, les astronomes amateurs récoltent plus fréquemment un rhume carabiné qu’un éblouissement oculo-cométaire. Pour ISON, l’histoire s’annonçait différente. Très loin du soleil, elle était déjà brillante, laissant présager une luminosité égale à celle de la lune au plus près de la Terre. Mieux, ce croisement devait avoir lieu autour de Noel : magie d’une nouvelle étoile des rois mages ! Seulement voila : il faut toujours lire les petites lignes. Et celles-ci indiquaient que la comète ne survivrait à son passage près du soleil que si son diamètre dépassait les 8 km. Hélas, les diverses mesures de l’automne 2013 ne laissaient présager rien de bon et annonçaient une probable fin funeste. Traduisez par : évaporation, sublimation et dislocation dans la fournaise et les marées de l’atmosphère solaire. « To be or not to be » : dilemme shakespearien venu de la nuit des temps qui prenait soudain tout son sens. Enfin, surtout pour les médias qui devaient entretenir le suspens jusqu’au fatidique 28 novembre : « nous vous annonçons la disparition et blablabla et blablabla.. ». Dès la date du survol solaire passée, on ne parla plus de ISON dans le grand public. Elle était bel et bien morte.

… Enfin, Euh, Non, chef, il se passe quelque chose !

Les rares curieux qui continuaient à regarder les images du satellite STEREO braqué sur l’environnement Phébusien, découvrirent la vaillante impertinente qui, tel le Phénix renaissant de ses cendres, se paya le culot de vivre encore quelques jours. Oui mais voilà, aux Etats Unis, le 28 était le soir de Thanks Giving et le 29, la journée fériée du « Black Friday » : on n’allait quand même pas se faire embêter par un petit bout de glace ressorti de l’enfer.

ISON était morte avant l’heure … victime des soldes du Vendredi Noir !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire