dimanche 11 janvier 2015

J’aurais voulu ...



J’aurais voulu écrire une belle chronique, en ce début d’année.

J’aurais voulu vous parler de l’enthousiasmante génération geek. Vous savez, celle de ces anciens jeunes boutonneux, biberonnés à l’Internet et qui communiquent à l’autre bout du monde (ou de la table) par écran interposé. On les disait solitaires, superficiels, incapable de coopérer. Ils ont fait taire la vieille économie, en s’unissant à la vitesse de la lumière et  avec une énergie débordante autour  du concept de FrenchTech. Magique innovation qui apparait là où on ne l’attend pas !

J’aurais voulu rugir mon agacement lorsque j’ai entendu, avant Noel,  que l’efficacité des  équipes opérationnelles des pôles de compétitivité se jugeait, à nouveau uniquement,  sur le nombre de projets de recherche. Drôle d’idée réductrice de l’innovation : où est donc passé cette belle promesse de l’« usine à produits », créatrice de valeur et de satisfaction client ?

J’aurai voulu vous peindre l’Innovation avec les couleurs de l’arc en ciel. Car l’innovation est belle, multiple et inclassable, parfois technique, parfois service, parfois usage, parfois organisationnelle, mais toujours humaine.

J’aurais voulu vous dire la passion d’être innovateur. Ce métier d’éternel adolescent où l’on doit canaliser son énergie créative et cultiver avec soin la révolte face aux standards et aux « on a toujours fait comme ça ».

J’aurais voulu écrire une belle chronique, en ce début d’année…

… J’aurais surtout voulu ne jamais vivre ce funeste 7 janvier 2015.

J’aurais voulu ne pas voir de blessés et de morts. J’aurais voulu ne pas avoir à entendre leurs noms.
Non pas toi, Wolinski, que je lisais en cachette sous les draps, à la lueur d’une lampe électrique, de peur de me faire attraper par mes parents.

Non pas toi, Cabu, qui a appris à la jeune génération adulte, les délices de l’autodérision en dessinant des nez en trompette à l’animatrice vedette du club Dorothée dont tu étais l’un des déjantés animateurs.
Non pas toi, Oncle Bernard dont la fougue économique sur France Inter arrivait à me sortir des dernières brumes nocturnes, à l’heure où la tête a encore naturellement tendance à plonger directement dans le bol de café.
Non pas vous, tous les autres, qui faisiez un journal à nul autre pareil. Si je suis plus Canard que Charlie, mon regard furtif m’a pourtant souvent fait bidonner sur vos unes « révoltantes » dans les kiosques à journaux.

J’aurais voulu vous dire que ce qui caractérise le mieux l’Homme, c’est son extraordinaire capacité à penser. Sans l’Homme, pas de philosophie, de mathématiques ou …d’humour. Mais l’humour a cela de particulier qu’il  peut être tout autant dangereux lorsqu’on le prend  brut de décoffrage, que délicieux lorsqu’on le savoure au second ou au troisième degré.

J’aurais voulu leur dire, à Amedy, Cherif et Saïd, ces trois salauds qui ont cru pouvoir voler l’âme d’un pays avec des armes, que mort de rire, ne devait jamais être pris au sens littéral du terme.

J’aurais voulu vous faire sourire, mais je n’ai pas su. Il est écrit qu’un homme, un « vrai », ne doit jamais pleurer.  J’ai tout faux aujourd’hui : j’ai la gorge serrée et les joues humides.

 Alors, comme cette chronique ne pourra pas exister. Comme ma main n’a pas  l’agilité du caricaturiste,  je vous propose de passer du temps à regarder les innombrables dessins qui ont fleuri sur la toile, tout autour de la planète : un printemps en hiver, pour donner des couleurs au noir qui nous envahissait.  C’est le miracle de Charlie qui, face aux sourdes détonations, a vu se lever la Révolte des Crayons.  Et si, malgré ce chagrin d’un pays tout entier, j’arrive à vous formuler un vœu, un seul, pour 2015, ce sera celui de toujours privilégier la mine à la gomme. C’est la seule qui crée et qui laisse une trace indélébile au cœur du papier !

J’aurai voulu écrire une belle chronique en ce début d’année…


… Mais aujourd’hui, JE SUIS CHARLIE.

Je suis Charlie