vendredi 20 mars 2020

CoronaVirage : sortie de route annoncée



La chronique que je vous livre aujourd’hui est inhabituelle dans sa forme, sa longueur et son style. C’est une tranche de vie, comme l’extrait d’un journal intime écrit au fil des jours. Un exutoire à une angoisse qui m’a habité depuis presque trois mois et dont ce premier épisode s’achève à quelques jours du printemps, lorsque la Terre appuie sur le bouton STOP.


31 décembre 2019 : Tic-Tac, Tic-Tac, Tic-Tac. La vieille horloge franc comtoise égraine le temps comme elle le fait si bien depuis des siècles.

Moi : Si loin, déjà si loin. La neige plus ou moins artificielle sauve les vacances de Noel dans les stations. Carlos Ghosn rentre de son long séjour japonais. La bourse est au plus haut. Les australiens se battent contre de gigantesques incendies. Le débat sur la réforme des retraites fait rage. On entre dans une nouvelle année. Le Monde est toujours Monde.

Pendant ce temps-là, en Chine, on tousse …

Tic-Tac, 4 janvier 2020 : les médias occidentaux font état d’une mystérieuse pneumonie qui aurait fait son apparition dans un marché de gros, en plein cœur d’une ville totalement inconnue, Wuhan.

Moi : aucun souvenir

Tic-Tac, 9 janvier : 400 peut-être 500 chinois sont diagnostiqués positifs à ce que l’on nommera plus tard SARS-CoV-2. Une grippe, rien de plus.

Moi : aucun souvenir

Tic-Tac, 15 janvier : Ça commence à s’affoler côté Chine où les réseaux sociaux contournent les médias officiels ; le virus virule dur et voyage déjà en s’invitant en croisière. La terrible saga démarre. Mais en France, on parle encore d’une grippe et de coronavirus.

Moi : tiens c’est quoi, au fait, un coronavirus ? Tu dis quoi Google ?  Virus en forme de couronne lorsqu'ils sont observés au microscope, identifiés pour la première fois chez l'humain dans les années 1960 et qui causent principalement des infections respiratoires. Rien de bien méchant.

Tic-Tac, 20 janvier : la transmission interhumaine est confirmée. Les premiers confinements se mettent en place. A Wuhan, les télés commencent à montrer des désinfections de rues avec des hommes en combinaison.

Moi : bizarre, bizarre, ces chinois. Ils montrent leurs muscles ?

Tic-Tac, 24 janvier : 45 millions de chinois sont mis en confinement. La Chine lance en urgence la construction de 2 hôpitaux d’une capacité totale de 2600 lits. 25 janvier : les festivités du nouvel an chinois sont annulées, les déplacements réduits, les écoles fermées jusqu’en avril. 30 janvier : l’OMS déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale. En Europe, officiellement, on ne s’affole pas, mais on rapatrie les ressortissants basés à Wuhan

Moi : ça ne sent pas bon tout ça. Il va falloir fouiller dans la littérature scientifique. Je me remets à faire des statistiques. Je ne suis pas médecin, mais les chiffres et les modèles mathématiques, ça, je connais. Ça marche comment une épidémie ? C’est comme une boule de neige. Ça démarre d’abord lentement puis ça grossit de plus en plus, à mesure que la contagion se répand. La courbe ressemble fichtrement à une exponentielle.

Tic-Tac de février : des relents de xénophobie se font jour un peu partout sur la planète. Le «virus chinois», le «péril jaune» ou le boycott des restaurants asiatiques sont des signes qui ne trompent pas. La peur irrationnelle s’installe face à un ennemi invisible que l’on ne connait pas

Moi : mais c’est débile !

Tic-Tac, 13 février : les hôpitaux en Chine sont débordés. Le protocole de diagnostic évolue pour détecter plus tôt les malades. Les foyers de contamination se multiplient dans le monde, encore bien éloignés de l’Europe. En Corée du Sud, la guerre est ouverte. Alors que le début de la crise avait été très bien maitrisé, les contacts inconscients entre les adeptes de la secte Shincheonji font exploser l’épidémie. Le pays devient le second plus gros foyer épidémique.

Moi : chercher des chiffres, comprendre. Les données sont hallucinantes, même prises avec toutes les précautions d’usage car nous n’avons pas le recul nécessaire. On parle toujours de grippe au grand public mais le taux de contagion semble 3 à 4 fois plus élevé, et le taux de létalité, autour de 2 à 4%, est 10 fois supérieur. Politiquement et économiquement, c’est une gigantesque bombe à retardement.

Tic-Tac, 21 février : la Lombardie détecte 16 cas, 60 le 22, presque 900 le 28. Certains médias osent dire que l’épidémie se repend là-bas parce que le système de santé est moins bon qu’en France.

Moi : Folie ! Ce Nord de l’Italie, je le connais bien, c’est un territoire riche, bien organisé. Non, il se passe vraiment quelque chose de grave, de très grave. Commencer à alerter. Maintenant.

Tic-Tac, 25 février : la date de la première victime française du Coronavirus. J’apprends l’insupportable vocabulaire franglish branché. On ne parle plus de foyer de contamination mais de cluster. Haute-Savoie et Oise ont le triste privilège d’ouvrir cette nouvelle liste. Le carnaval de Venise est stoppé net, le nombre de contaminés et de décès atteint des sommets. En Corée, dans le pays le plus connecté au Monde, toutes les technologies sont mises en œuvre pour détecter et tracer les porteurs du virus. Oui mais, tout cela est… ailleurs.

Moi : J’hallucine. « COVID19 = grippe » reste toujours dans l’inconscient collectif. Ressortir les anciennes affiches des gestes barrières, vite ! Comment faire prendre conscience du danger ? Stade 1 ou stade 2 de l’épidémie, mais qui écoute ? Des infos qualifiées parlent déjà d’une contamination possible de 40 à 60% de la population mondiale. Mais qui en parle ? Incrédulité générale.

Tic-Tac, 6 mars : On franchit dans la journée les 500 cas détectés en France. Nous sommes sur les mêmes courbes que les principaux pays : +33% par jour, soit un doublement toutes les 72 heures.

Moi : je suis triste. Je comprends ce que vivent les italiens. L’engorgement des systèmes de soins. Une médecine de guerre se met en place, comme une violence absolue à nos valeurs : décider qui peut vivre ou non.

Tic-Tac, 12 mars : le cap symbolique des 3000 cas français est franchi. L’Italie est déjà sous cocon depuis 3 jours lorsqu’est annoncée la fermeture programmée de nos écoles pour le lundi suivant. Toutes les publications scientifiques montrent que le seul moyen d’enrayer l’emballement mondial, c’est celui de la distanciation sociale. Dit autrement : le C.O.N.F.I.N.E.M.E.N.T

Moi : Ouf ! Le premier pas est fait. Mais pourquoi a-t-on maintenu les élections ? En situation d’ultra crise, il ne peut pas y avoir de demi-mesure. Entre le blanc et le noir, le gris ne peut pas exister. Il faut faire simple.

Tic-Tac 14 mars : 5000 cas. La décision tombe enfin, brutale. Tous les lieux publics sont fermés. Tous ? Non ! Car les bureaux de vote, tel le village d’Astérix, résistent.

Moi : Je hurle ! Aberration entre le cartésien scientifique et le sociétal politique. Comment faire accepter le danger si ce qui est interdit ici, est autorisé là. Il fait beau. La vie explose dans les rues et jardins. Encore un jour de perdu. Terrible échec sociologique. Sur mon compte twitter, je prédis le confinement pour le mercredi suivant.

Tic-Tac, 16 mars : 7000 cas, 150 morts en France, 28000 en Italie, près de 200000 dans le monde. Un carnage.  Le confinement « doux » est enfin annoncé pour le mardi 17.

Moi : impression bizarre. Je suis triste et heureux à la fois. Je suis prêt dans ma tête. Je sais quoi faire.

Tic, 17 mars midi : la France se barricade. L’économie s’arrête. Petit à petit, toutes les frontières se ferment sur la planète Terre. Les pays se recroquevillent. La pandémie, massive, est sur nous.

Tac…

 

André Montaud