La chronique que je vous livre aujourd’hui est inhabituelle dans sa forme, sa longueur et son style. C’est une tranche de vie, comme l’extrait d’un journal intime écrit au fil des jours. Un exutoire à une angoisse qui m’a habité depuis presque trois mois et dont ce premier épisode s’achève à quelques jours du printemps, lorsque la Terre appuie sur le bouton STOP.
31 décembre 2019 : Tic-Tac, Tic-Tac, Tic-Tac. La
vieille horloge franc comtoise égraine le temps comme elle le fait si bien depuis
des siècles.
Moi : Si loin,
déjà si loin. La neige plus ou moins artificielle sauve les vacances de Noel dans
les stations. Carlos Ghosn rentre de son long séjour japonais. La bourse est au
plus haut. Les australiens se battent contre de gigantesques incendies. Le débat
sur la réforme des retraites fait rage. On entre dans une nouvelle année. Le Monde
est toujours Monde.
Pendant ce temps-là, en Chine, on tousse …
Tic-Tac, 4 janvier 2020 : les médias occidentaux font
état d’une mystérieuse pneumonie qui aurait fait son apparition dans un marché
de gros, en plein cœur d’une ville totalement inconnue, Wuhan.
Moi : aucun
souvenir
Tic-Tac, 9 janvier : 400 peut-être 500 chinois sont
diagnostiqués positifs à ce que l’on nommera plus tard SARS-CoV-2. Une grippe,
rien de plus.
Moi : aucun
souvenir
Tic-Tac, 15 janvier : Ça commence à s’affoler côté
Chine où les réseaux sociaux contournent les médias officiels ; le virus
virule dur et voyage déjà en s’invitant en croisière. La terrible saga démarre.
Mais en France, on parle encore d’une grippe et de coronavirus.
Moi : tiens c’est
quoi, au fait, un coronavirus ? Tu dis quoi Google ? Virus en forme de couronne lorsqu'ils sont
observés au microscope, identifiés pour la première fois chez l'humain dans les
années 1960 et qui causent principalement des infections respiratoires. Rien de
bien méchant.
Tic-Tac, 20 janvier : la transmission interhumaine est
confirmée. Les premiers confinements se mettent en place. A Wuhan, les télés
commencent à montrer des désinfections de rues avec des hommes en combinaison.
Moi : bizarre,
bizarre, ces chinois. Ils montrent leurs muscles ?
Tic-Tac, 24 janvier : 45 millions de chinois sont mis
en confinement. La Chine lance en urgence la construction de 2 hôpitaux d’une
capacité totale de 2600 lits. 25 janvier : les festivités du nouvel an
chinois sont annulées, les déplacements réduits, les écoles fermées jusqu’en
avril. 30 janvier : l’OMS déclare l’état d’urgence de santé publique de
portée internationale. En Europe, officiellement, on ne s’affole pas, mais on
rapatrie les ressortissants basés à Wuhan
Moi : ça ne sent
pas bon tout ça. Il va falloir fouiller dans la littérature scientifique. Je me
remets à faire des statistiques. Je ne suis pas médecin, mais les chiffres et
les modèles mathématiques, ça, je connais. Ça marche comment une
épidémie ? C’est comme une boule de neige. Ça démarre d’abord lentement puis
ça grossit de plus en plus, à mesure que la contagion se répand. La courbe
ressemble fichtrement à une exponentielle.
Tic-Tac de février : des relents de xénophobie se
font jour un peu partout sur la planète. Le «virus chinois», le «péril jaune»
ou le boycott des restaurants asiatiques sont des signes qui ne trompent pas.
La peur irrationnelle s’installe face à un ennemi invisible que l’on ne connait
pas
Moi : mais c’est
débile !
Tic-Tac, 13 février : les hôpitaux en Chine sont
débordés. Le protocole de diagnostic évolue pour détecter plus tôt les malades.
Les foyers de contamination se multiplient dans le monde, encore bien éloignés
de l’Europe. En Corée du Sud, la guerre est ouverte. Alors que le début de la
crise avait été très bien maitrisé, les contacts inconscients entre les adeptes
de la secte Shincheonji font exploser l’épidémie. Le pays devient le second
plus gros foyer épidémique.
Moi : chercher
des chiffres, comprendre. Les données sont hallucinantes, même prises avec
toutes les précautions d’usage car nous n’avons pas le recul nécessaire. On
parle toujours de grippe au grand public mais le taux de contagion semble 3 à 4
fois plus élevé, et le taux de létalité, autour de 2 à 4%, est 10 fois
supérieur. Politiquement et économiquement, c’est une gigantesque bombe à
retardement.
Tic-Tac, 21 février : la Lombardie détecte 16 cas, 60
le 22, presque 900 le 28. Certains médias osent dire que l’épidémie se repend là-bas
parce que le système de santé est moins bon qu’en France.
Moi : Folie !
Ce Nord de l’Italie, je le connais bien, c’est un territoire riche, bien organisé.
Non, il se passe vraiment quelque chose de grave, de très grave. Commencer à
alerter. Maintenant.
Tic-Tac, 25 février : la date de la première
victime française du Coronavirus. J’apprends l’insupportable vocabulaire franglish
branché. On ne parle plus de foyer de contamination mais de cluster.
Haute-Savoie et Oise ont le triste privilège d’ouvrir cette nouvelle liste. Le
carnaval de Venise est stoppé net, le nombre de contaminés et de décès atteint
des sommets. En Corée, dans le pays le plus connecté au Monde, toutes les
technologies sont mises en œuvre pour détecter et tracer les porteurs du virus.
Oui mais, tout cela est… ailleurs.
Moi : J’hallucine.
« COVID19 = grippe » reste toujours dans l’inconscient collectif.
Ressortir les anciennes affiches des gestes barrières, vite ! Comment
faire prendre conscience du danger ? Stade 1 ou stade 2 de l’épidémie, mais
qui écoute ? Des infos qualifiées parlent déjà d’une contamination
possible de 40 à 60% de la population mondiale. Mais qui en parle ?
Incrédulité générale.
Tic-Tac, 6 mars : On franchit dans la journée les
500 cas détectés en France. Nous sommes sur les mêmes courbes que les
principaux pays : +33% par jour, soit un doublement toutes les 72 heures.
Moi : je suis
triste. Je comprends ce que vivent les italiens. L’engorgement des systèmes de
soins. Une médecine de guerre se met en place, comme une violence absolue à nos
valeurs : décider qui peut vivre ou non.
Tic-Tac, 12 mars : le cap symbolique des 3000 cas
français est franchi. L’Italie est déjà sous cocon depuis 3 jours lorsqu’est
annoncée la fermeture programmée de nos écoles pour le lundi suivant. Toutes
les publications scientifiques montrent que le seul moyen d’enrayer
l’emballement mondial, c’est celui de la distanciation sociale. Dit autrement :
le C.O.N.F.I.N.E.M.E.N.T
Moi : Ouf !
Le premier pas est fait. Mais pourquoi a-t-on maintenu les élections ? En
situation d’ultra crise, il ne peut pas y avoir de demi-mesure. Entre le blanc
et le noir, le gris ne peut pas exister. Il faut faire simple.
Tic-Tac 14 mars : 5000 cas. La décision tombe enfin,
brutale. Tous les lieux publics sont fermés. Tous ? Non ! Car les
bureaux de vote, tel le village d’Astérix, résistent.
Moi : Je
hurle ! Aberration entre le cartésien scientifique et le sociétal
politique. Comment faire accepter le danger si ce qui est interdit ici, est
autorisé là. Il fait beau. La vie explose dans les rues et jardins. Encore un
jour de perdu. Terrible échec sociologique. Sur mon compte twitter, je prédis
le confinement pour le mercredi suivant.
Tic-Tac, 16 mars : 7000 cas, 150 morts en France, 28000
en Italie, près de 200000 dans le monde. Un carnage. Le confinement « doux » est enfin annoncé
pour le mardi 17.
Moi : impression
bizarre. Je suis triste et heureux à la fois. Je suis prêt dans ma tête. Je
sais quoi faire.
Tic, 17 mars midi : la France se barricade. L’économie
s’arrête. Petit à petit, toutes les frontières se ferment sur la planète Terre.
Les pays se recroquevillent. La pandémie, massive, est sur nous.
Tac…
André Montaud
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