Petite fable moderne dans le style de messieurs Jean de Lafontaine, Chevalier et Laspalès
L’innovation, vue par un ingénieur, est carrée, elle se met en équation mais elle ne se vend pas obligatoirement très bien.
L’innovation, vue par un marketeur, est ronde, elle bichonne le client mais cela cloche parfois lorsqu’on veut la mettre en fabrication.
Il est donc devenu courant, pour ne pas dire judicieux, de faire cohabiter les hommes de la calculette avec ceux du panel marché pour arriver, du moins l’espère-t-on, au succès commercial. Pas si sûr toutefois, car la transition entre le génial vieux produit que tout le monde s’arrache et le nouvel arrivant innovant ne se fera pas sans casse si ceux qui sont en contacts avec l’acheteur potentiel comprennent mal l’information marketing qu’ils doivent retranscrire en langage client. Gare alors au retour de bâton, pouvant tuer dans l’œuf, l’exceptionnelle pépite décrite par toutes les études de marché.
Souvenez-vous de l’inénarrable sketch « c’est vous qui voyez » interprété par Chevalier et Laspalès où un voyageur aux prises avec un guichetier obtus tentait de trouver un moyen de transport rapide entre Paris à Pau.
(Le rédacteur de ces lignes, compatissant avec ceux qui auraient échappé à cette anthologie du comique, en a déniché une version sur Internet.)
En voici une autre version quelque peu différente, qui, tout en étant sous forme de fable, n’en est pas moins véridique.
La raison du plus fort, n’est pas toujours la meilleure.
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un manant allait d’un pas pressé, le long d’un quai de gare.
Il était souriant, car son agenda compressé, l’avait mis à l’abri d’une grève annoncée.
Il avait en effet réussi à caser, avant que de partir, ses rendez-vous décalés.
Il serait donc bientôt dans ce cheval d’acier dont la flèche élancée faisait toujours rêver.
Déjà jeune étudiant fauché, il l’avait chevauché lors des premiers voyages.
Plus argenté ensuite, il l’avait emprunté des centaines de fois.
Il l’avait vu mûrir, de l’orange flamboyant des origines au bleu gris soutenu quasiment électrique avant qu’un embonpoint racé ne l’amène à grandir sur deux étages superposés.
Il en connaissait tous les recoins, toutes les odeurs, tous les sons, toutes les petites attentions que la dame du rail offrait à ses chevaliers les plus méritants.
Il n’en avait jamais voulu à cette étonnante machine, qui, fendant l’air des plaines picardes retrouvait, tunnel passé, un flegme britannique, pour parcourir les derniers miles grands bretons.
Accroc du TGV, il le revendiquait, car cette invention de génie, lui faisait remiser, au rang des oubliettes, les fort dures couchettes et autres trains de nuit.
Le manant, toutefois, était un peu inquiet : son efficacité, lui permettant son départ avancé, le mettait, de fait, dans l’illégalité. Certes, le distributeur en gare, lui refusait le TGV souhaité et le guichet était déjà fort encombré, mais le contrôleur, il le savait, serait là pour régulariser.
Il le croise de suite en montant en première, en grande discussion, avec sa charmante collègue, autour d’un papier très coloré.
- Bonjour mon cher monsieur, je voudrais, s’il vous plait, modifier mon billet.
- Il n’y a pas de problème, nous allons procéder. Vous arrivez ici avec pas mal d’avance. Vous voici en première. Et vous possédez la réduction de ceux qui, comme vous, ont de grandes familles. Je vais donc consulter mon papier coloré.
Croisant en XY avec sa partenaire le tableau précité, il découvre le cas du manant souriant.
- Hélas, mon bon monsieur, votre billet valide n’est ici plus valable car nous avons depuis LA nouvelle tarification que voici.
- Que faire alors, cher agent patenté, pour malgré tout voyager ?
- Vous allez au guichet pour changer ce billet ou alors vous payez un tout nouveau ticket.
- Mais si je vais au guichet, ce train, je vais rater !
- Oui, mais C’EST VOUS QUI VOYEZ !
Le manant, connaissant la savoureuse réplique,
Regarda autour de lui si une caméra cachée
N’était pas en ces lieux pour enregistrer
La situation qu’il aurait aimé trouver vraiment comique.
- Vous me dites, Monsieur, que je ne peux choisir qu’entre rester sur le quai ou partir et payer ?
- C’EST VOUS QUI VOYEZ !
Le manant dépité, décida de rester, et passa de ce fait, pour dame SNCF, du rang de voyageur honnête à celui moins reluisant, de contrevenant consentant.
Quelques instants plus tard, le seigneur de ces lieux, passant de siège en siège, arriva de ce fait, près du manant devenu malgré lui totalement malhonnête.
- Je vais vous établir un tout nouveau billet, car depuis pas longtemps les règles ont changé. Si vous aviez un billet Pro, nous aurions concilié.
- Mais savez-vous cher Monsieur, grand seigneur de ces lieux, que j’ai pris bien avant le billet pré cité. Sauf erreur de ma part, la loi de permet pas de modifier les conditions sur la chose déjà achetée. Comment aurais-je pu en ces temps, me procurer autre chose alors que votre seigneurie n’avait rien proposé !
- Je n’en veux rien savoir, mon papier coloré m’indique que je dois, ici verbaliser. Mais vous pourrez aussi demander la faveur de mes chefs. Voici pour votre avis, le docte document de la réclamation client.
Le manant fort déconfit se trouva à payer un billet qu’il avait acheté !
Moralité :
Amis de cette chronique, le lancement d’un tout nouveau produit ne peut jamais se faire,
Sans avoir expliqué à ceux qui vont le vendre que l’on doit concilier.
Combien d’innovations sont tombées dans l’oubli
Parce que l’on n’avait pas donné l’information précise
À celui promouvant la dernière merveille !
Dame SNCF, votre preux chevalier, amoureux de TGV, souhaiterait désormais que votre contrôleur ne se trouve armé que d’un simple papier, fusse-t-il coloré, pour répondre avec justesse et justice au manant fort pressé. Au-delà du tableau, une petite ligne sur la non rétroactivité des conditions de vente aurait pu éviter que le manant, rédacteur de ces lignes, ne transforme en prose son ticket de transport, parait-il invalide.
Ce récit en farce fut fait, on l’appela « le billet de train et le billet d’humeur » et devint newsletter d’un novembre embrumé.
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