La vie est trop dure pour les ingénieurs ! Leur créativité est totalement bridée par le bon vouloir de Dame Nature. Et les preuves à charge sont innombrables :
• Impossible de faire voler un avion sans tenir compte des lois de la portance, au risque de devoir subir les sévères effets du décrochage.
• Difficile de bâtir des arches élancées en oubliant les règles de résistance des matériaux (RdM).
• Arrachage de cheveux sur le crâne en perspective pour ceux qui viseraient un rendement de 100% pour les moteurs, contraire aux basiques du cycle de Carnot.
Non vraiment, les 9,81m/s2 et autres constantes de la physique sont de redoutables blocages aux esprits innovateurs.
Heureusement, il est facile pour ces brillants neurones de s’évader dans les mondes virtuels des jeux vidéo où tout est permis :
• Des véhicules fonçant dans des obstacles à 200 km/h redémarrent allègrement.
• Le héros sautant d’un gratte-ciel de 300m, renaît, tel un phénix, après s’être écrasé avec moult effets de jets d’hémoglobine.
• Le skieur effectuera un sextuple saut périlleux vrillé au risque de rendre caduque tous les exploits olympiques des vingt prochaines décennies.
Ces étonnants faits d’armes sont connus et expérimentés par bon nombre de lecteurs de cette chronique qui ont baigné, dès leur plus jeune âge, dans cette dualité entre le réel sanctionné par les Ro, Pi et autre Mu, et le monde virtuel où les vies nouvelles s’achètent à coup d’épreuves.
Gare au retour à la réalité : les professeurs de mécanique vous raconteront les expériences mémorables de jeunes étudiants maniant avec dextérité les outils de conception assistée par ordinateur afin d’obtenir de splendides modèles en 3D … totalement infabricables.
Mais bon, la sanction est rapide grâce aux constantes physiques de Miss Nature.
Si je vous parle de ces mondes virtuels, c’est que je suspecte que la crise actuelle y trouve ses racines. Certains ont comparé le crash financier à une Bourse Casino. Le problème de cette image est que l’on considère que seul le hasard, ou les statistiques aléatoires sont en action. Or J’ai beaucoup plus l’impression que nous sommes dans une « crise Playstation » … et je m’explique.
Dans le secteur financier, création pure de l’esprit humain, la nature n’étend pas ses bras vigoureux de constantes-contraintes. Il est ainsi possible de construire des modèles mathématiques de plus en plus sophistiqués, décrivant de manière de plus en plus précise les tendances d’un indice boursier … tout en se décorrélant de la création de valeur dans le monde réel. Ainsi voit ont apparaître, par exemple, des flux de matières premières virtuelles dont les volumes sont parfois 10 fois plus importants que le marché réel. Et l’on arrive ainsi au yoyo du pétrole passant de 100 à 140 puis à 40 dollars par baril ou à des valeurs boursières plongeant de 40%.
Il est fascinant de voir combien les écrans des salles de marché, reflétant théoriquement l’extérieur, peuvent faire écran au monde de tous les jours. A force de dérivées et d’intégrales, les histogrammes et autres courbes boursières, finissent par faire croire qu’un mode de 0 et de 1 simule au plus près les besoins du consommateur. Des wagons de mathématiciens ont foncé dans cet eldorado … et ont finalement fait de grosses bêtises, non que leurs modèles soient faux, puisqu’ils sont scientifiquement parfaits, mais parce qu’ils ont oublié de recréer les constantes physiques qui nous régulent dans la vraie vie.
Les prévisions d’un marché, fût-il financier, relève d’une précision « météorologique » : par flux d’Ouest bien établi la prédiction est quasi parfaite mais par tempête d’équinoxe, gare aux erreurs profondes.
Que l’on me comprenne bien, il n’est pas question de refuser des outils qui permettent de se protéger contre les variations de change et les évolutions de prix de matières premières ou qui ont contribué à fluidifier les échanges à l’échelle de la planète. Mais il faut savoir raison garder.
Les modèles ne feront que reproduire les erreurs de leurs concepteurs, souvent en les amplifiant. Mais tout comme dans un jeu vidéo, on peut continuer à « vivre » tant qu’il n’y a pas une confrontation violente avec le réel : on fait des bulles. Bulle Internet à la fin des années 90, bulle du crédit immobilier aujourd’hui ! Dans les deux cas, le fantasme clinquant du virtuel a pris le pas sur le sérieux austère de la réalité. C’est avec une gigantesque Playstation à l’échelle de la planète que certains ont voulu jouer, sauf que le coût du bouton « RESET » sur lequel nous devons appuyer aujourd’hui est prohibitif.
Alors espérons que nous serons assez raisonnables pour enfin créer, comme Dame Nature, nos propres RdM (régulation de marché). L’innovation des produits financiers sera peut-être moins grande, mais ces derniers auront l’avantage de rester liés à notre réalité économique.
Quand à la Playstation, gardons la pour nous évader du réel : elle n’a pas sa place ailleurs !
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