jeudi 10 mars 2016

Une fourmi de 18 mètres ...




Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?

- Oh, Oh, cher chroniqueur, te voilà bien guilleret en citant ainsi les comptines apprises d’un bien ancien Robert Desnos, à une époque où l’encre violette et la plume sergent major faisaient office de tablette et autre écran smartphonique. Mais là, tu vois, tu es au 21ème siècle, et tu me dois une nouvelle page innovation !

Voilà, c’est toujours pareil, t’essayes d’innover avec ton redac’chef et paf, ma gentille fourmi se fait écrabouiller malgré ses 18 mètres. Et pourtant, j’aurais bien voulu continuer sur le même thème, car je suis gonflé de chez gonflé par la communication exacerbée faite autour du dernier sujet à la mode : l’usine du futur. Pas une semaine sans un évènement sur le sujet (nouvel eldorado pour les organisateurs de congrès). Pas une journée sans un docte article.

Une usine du futur qui se la pète
Avec un nuage sur la tête
Ça n’existe pas, ça n’existe pas !
Une usine du futur qui compte un, deux, trois, quatre
En se pavanant tel un splendide bellâtre
Ca n’existe pas, ca n’existe pas !

- Holà, holà, tu deviens soudain bien acariâtre. Faut pas te mettre dans un état pareil. Cette chronique doit être rigolote. Alors, raconte-nous ce qui te fait si mal.

C’est ce que j’aime bien avec mon rédac’chef :

D’abord les gros yeux tout ronds,
Pour te mettre sous tension.
Puis le petit mot réconfortant, 
Pour ne plus être sur les dents.

(T’as vu ami lecteur, je sais rimer comme du Robert Desnos, mais chut, c’est un secret !)

Bon oui, je suis ulcéré par ces soudains spécialistes qui nous expliquent par A+B ce que sera l’usine de demain sans y avoir jamais mis les pieds. Remarquez, cela a parfois du bon, car on n’a jamais autant parlé de l’industrie de manière aussi positive. Certains redécouvrent enfin qu’un pays sans manufactures modernes, c’est comme un canasson sans avoine : ça ne va pas très loin ! 

Mais bon, les ingénieurs, sont des ingénieurs et quand on leur raconte des choses imprécises voire des bobards : ils zaiment pas ! Donc non, l’usine du futur, ce n’est pas que l’intrusion massive du numérique dans le cambouis. Du numérique, il y en a déjà beaucoup dans les ateliers et du cambouis quasiment plus. Si, si, il suffit de regarder. 

L’industrie du futur, c’est un concept marketing facile mais un programme réel à multiples tiroirs, pas si évident à appréhender. 

Lisez les petits noms qu’on lui donne et vous comprendrez mon malaise. Les américains parlent de seconde révolution, les coréens de troisième, nos cousins germains préfèrent le 4.0, la perfide Albion est plus agressive avec sa catapulte alors que nos bérets-baguettes hésitent entre entreprise et usine… mais toujours du futur. Pas facile de se faire une idée. Bon, on peut toujours se dire que les allemands sont pragmatiques et que, s’ils ont choisi 4 étapes dans la vie industrielle, on doit pouvoir faire de même : la mécanisation vapeur, l’arrivée de l’électricité, l’automatisation et maintenant le cyberespace. C’est un choix, comme un autre. J’en aurais bien rajouté 3 autres, l’invention du feu, la taille du premier silex, voire l’âge du bronze qui ont tout autant révolutionné notre condition d’humain besogneux. France 7- 0 : quasiment un parfait résultat de foot pour le prochain euro. Mais bon, là, je digresse trop !

Alors l’entreprise du futur c’est quoi ? Suivant à qui on s’adresse, la réponse sera très différente. Certains vous la décriront comme très technologique voire quasi uniquement numérique : big data, cloud, système d’information ou simulation se superposent aux fabrications additives (la fameuse impression 3D), à la réalité augmentée ou à l’Internet des Objets. D’autres vous parleront de robotique ou d’automatisme. Les industrieux–philosophes partiront sur des tirades respectueuses de l’environnement, sur la proximité, voire l’intimité client, sur l’hyperpersonnalisation du produit ou du service, sur l’usine flexible et reconfigurable. D’autres enfin, la main sur le cœur, vous diront que c’est l’Homme qu’ils mettent là, sur le cœur (en général, à ce moment du discours, on sort une musique romantique à base de violons sirupeux sur fond de soleil couchant rougeoyant).

Avec un tel catalogue, tout bon chef d’entreprise normalement constitué devrait partir en courant. Oui, mais… l’entreprise du futur n’est peut être pas si futur que cela. Certes, on voit que les nouvelles technologies, qui vont apparaître, font frétiller d’envie les éditeurs de logiciels par le monstrueux relais de croissance qu’elles représentent. Mais l’entreprise du futur n’est-elle pas avant tout du GBS ? Pour tous ceux qui n’osent pas poser la question, le GBS signifie Gros Bon Sens. Ou, dit autrement, mobiliser l’intelligence collective pour fournir le meilleur service, au bon moment et au meilleur prix. Celui qui va attendre sur catalogue la box XYZ pour son usine de demain risque de rester longtemps au bord du chemin. Des usines du futur, j’en vois tous les jours, y compris dans les lointaines montagnes alpines ! Il y en a même une qui fabrique des meubles de cuisine dont la prise de commande est directement pilotée par le client final, dont la chaine de production peut gérer du sur-mesure individualisé, qui est respectueuse de son environnement en recyclant ses déchets, qui a des robots là où ils sont nécessaires et des hommes ailleurs, qui a un système d’information à faire pâlir d’envie les plus grands informaticiens mondiaux… et qui fait cela dans le silence de sa vallée depuis des années. Tout cela parce que des gens normalement constitués font admirablement travailler une petite masse rose dans une boite dite crânienne et connaissent leur métier sur le bout des doigts.

Alors oui, l’usine du futur c’est une usine d’aujourd’hui, celle de vrais entrepreneurs qui savent prendre les risques là où c’est nécessaire, qui investissent le « juste ce qu’il faut », qui savent faire monter en compétences leurs équipes, qui se battent contre les fournisseurs qui bloquent des standards fermés, qui co-développent, qui trempent leur chemise, qui acceptent de se planter avant de réussir.

L’usine du futur, c’est tout cela. Elle n’existe pas dans le futur car elle est souvent dans notre présent : une usine de l’intelligence et des vrais entrepreneurs, une usine de l’optimisme. 

Elle n’existe pas ? Eh ! Pourquoi pas !

Pour le Robert Desnos de l’industrie :
André Montaud
am@thesame-innovation.com 

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