Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête
Ça n'existe pas,
ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de
canards
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant
français,
Parlant latin et javanais
Ça n'existe pas, ça n'existe
pas.
Eh ! Pourquoi pas ?
- Oh, Oh, cher chroniqueur, te voilà bien guilleret en citant ainsi les comptines apprises d’un bien ancien Robert Desnos, à une époque où l’encre violette et la plume sergent major faisaient office de tablette et autre écran smartphonique. Mais là, tu vois, tu es au 21ème siècle, et tu me dois une nouvelle page innovation !
Voilà, c’est toujours
pareil, t’essayes d’innover avec ton redac’chef et paf, ma gentille fourmi se
fait écrabouiller malgré ses 18 mètres. Et pourtant, j’aurais bien voulu
continuer sur le même thème, car je suis gonflé de chez gonflé par la
communication exacerbée faite autour du dernier sujet à la mode : l’usine du
futur. Pas une semaine sans un évènement sur le sujet (nouvel eldorado pour les
organisateurs de congrès). Pas une journée sans un docte article.
Une
usine du futur qui se la pète
Avec un nuage sur la tête
Ça n’existe pas,
ça n’existe pas !
Une usine du futur qui compte un, deux, trois, quatre
En
se pavanant tel un splendide bellâtre
Ca n’existe pas, ca n’existe pas
!
- Holà, holà, tu deviens soudain bien acariâtre. Faut pas te mettre dans un état pareil. Cette chronique doit être rigolote. Alors, raconte-nous ce qui te fait si mal.
C’est ce que j’aime bien avec mon rédac’chef :
D’abord les gros yeux tout ronds,
Pour te mettre sous
tension.
Puis le petit mot réconfortant,
Pour ne plus être sur les dents.
(T’as vu ami lecteur, je sais rimer comme du Robert Desnos, mais chut, c’est un secret !)
Bon oui, je suis ulcéré par ces soudains
spécialistes qui nous expliquent par A+B ce que sera l’usine de demain sans y
avoir jamais mis les pieds. Remarquez, cela a parfois du bon, car on n’a jamais
autant parlé de l’industrie de manière aussi positive. Certains redécouvrent
enfin qu’un pays sans manufactures modernes, c’est comme un canasson sans avoine
: ça ne va pas très loin !
Mais bon, les ingénieurs, sont des ingénieurs
et quand on leur raconte des choses imprécises voire des bobards : ils zaiment
pas ! Donc non, l’usine du futur, ce n’est pas que l’intrusion massive du
numérique dans le cambouis. Du numérique, il y en a déjà beaucoup dans les
ateliers et du cambouis quasiment plus. Si, si, il suffit de regarder.
L’industrie du futur, c’est un concept marketing facile mais un
programme réel à multiples tiroirs, pas si évident à appréhender.
Lisez les petits noms qu’on lui donne et vous comprendrez mon
malaise. Les américains parlent de seconde révolution, les coréens de troisième,
nos cousins germains préfèrent le 4.0, la perfide Albion est plus agressive avec
sa catapulte alors que nos bérets-baguettes hésitent entre entreprise et usine…
mais toujours du futur. Pas facile de se faire une idée. Bon, on peut toujours
se dire que les allemands sont pragmatiques et que, s’ils ont choisi 4 étapes
dans la vie industrielle, on doit pouvoir faire de même : la mécanisation
vapeur, l’arrivée de l’électricité, l’automatisation et maintenant le
cyberespace. C’est un choix, comme un autre. J’en aurais bien rajouté 3 autres,
l’invention du feu, la taille du premier silex, voire l’âge du bronze qui ont
tout autant révolutionné notre condition d’humain besogneux. France 7- 0 :
quasiment un parfait résultat de foot pour le prochain euro. Mais bon, là, je
digresse trop !
Alors l’entreprise du futur c’est quoi ? Suivant à qui on
s’adresse, la réponse sera très différente. Certains vous la décriront comme
très technologique voire quasi uniquement numérique : big data, cloud, système
d’information ou simulation se superposent aux fabrications additives (la
fameuse impression 3D), à la réalité augmentée ou à l’Internet des Objets.
D’autres vous parleront de robotique ou d’automatisme. Les
industrieux–philosophes partiront sur des tirades respectueuses de
l’environnement, sur la proximité, voire l’intimité client, sur
l’hyperpersonnalisation du produit ou du service, sur l’usine flexible et
reconfigurable. D’autres enfin, la main sur le cœur, vous diront que c’est
l’Homme qu’ils mettent là, sur le cœur (en général, à ce moment du discours,
on sort une musique romantique à base de violons sirupeux sur fond de soleil
couchant rougeoyant).
Avec un tel catalogue, tout bon chef
d’entreprise normalement constitué devrait partir en courant. Oui, mais…
l’entreprise du futur n’est peut être pas si futur que cela. Certes, on voit que
les nouvelles technologies, qui vont apparaître, font frétiller d’envie les
éditeurs de logiciels par le monstrueux relais de croissance qu’elles
représentent. Mais l’entreprise du futur n’est-elle pas avant tout du GBS ? Pour
tous ceux qui n’osent pas poser la question, le GBS signifie Gros Bon Sens. Ou,
dit autrement, mobiliser l’intelligence collective pour fournir le meilleur
service, au bon moment et au meilleur prix. Celui qui va attendre sur catalogue
la box XYZ pour son usine de demain risque de rester longtemps au bord du
chemin. Des usines du futur, j’en vois tous les jours, y compris dans les
lointaines montagnes alpines ! Il y en a même une qui fabrique des meubles de
cuisine dont la prise de commande est directement pilotée par le client final,
dont la chaine de production peut gérer du sur-mesure individualisé, qui est
respectueuse de son environnement en recyclant ses déchets, qui a des robots là
où ils sont nécessaires et des hommes ailleurs, qui a un système d’information à
faire pâlir d’envie les plus grands informaticiens mondiaux… et qui fait cela
dans le silence de sa vallée depuis des années. Tout cela parce que des gens
normalement constitués font admirablement travailler une petite masse rose dans
une boite dite crânienne et connaissent leur métier sur le bout des
doigts.
Alors oui, l’usine du futur c’est une usine d’aujourd’hui, celle
de vrais entrepreneurs qui savent prendre les risques là où c’est nécessaire,
qui investissent le « juste ce qu’il faut », qui savent faire monter en
compétences leurs équipes, qui se battent contre les fournisseurs qui bloquent
des standards fermés, qui co-développent, qui trempent leur chemise, qui
acceptent de se planter avant de réussir.
L’usine du futur, c’est tout
cela. Elle n’existe pas dans le futur car elle est souvent dans notre présent :
une usine de l’intelligence et des vrais entrepreneurs, une usine de
l’optimisme.
Elle n’existe pas ? Eh ! Pourquoi pas !
Pour le Robert Desnos de l’industrie :
André Montaud
am@thesame-innovation.com
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