Cette chronique va encore me faire de sérieux ennemis, mais il est de mon devoir de lancer un véritable cri d’alarme. En effet l’innovation prend parfois, et de façon très sournoise, des colorations sexistes, voire même machistes.
Vous ne me croyez pas ?
Et pourtant, il suffit de regarder autour de vous dans la rue. Lancez un petit sondage pour connaître la répartition des bipèdes masculins et féminins équipés d’un organe proéminant … au niveau de l’oreille. Je veux parler du Bluetooth, accessoire devenu parait-il IRREMPLACABLE dans la communication moderne.
Le Bluetooth est avant tout masculin, image d’une nouvelle virilité technologique.
Je suis toujours sidéré de voir comment les ressources marketing peuvent se déployer derrière une technologie, certes intéressante, mais pas pour autant indispensable. Alors que le monde des audioprothésistes réussit à camoufler de façon quasi parfaite les appareils auditifs, il est de bon ton de se ballader dans la foule avec une demi-lune technico-aguicheuse accrochée au lobe droit, transformant un visage agréable en étonnant Mr Spoke des temps modernes (pour la génération post Bobo, le docteur Spoke était un des personnages emblématiques à grandes oreilles de la série télévisée Star trek des années 60).
On voudrait nous faire croire qu’il n’y a point de salut en dehors du Bluetooth. Voici de quoi vous en convaincre.
Je l’avoue la semaine dernière j’ai été maladroit en écrasant mon écouteur filaire, un ringard kit piéton, très à la mode il y a longtemps (pour un opérateur téléphonique, longtemps c’est il y a 24 mois).
Je me rends donc dans ma boutique « préférée » où un vendeur zélé tentait de fourguer un téléphone multifonction mp3, camera, 3G, GPS, mail et quadribande à un vieux monsieur qui voulait simplement appeler ses petits enfants. Vint ensuite mon tour où, dans ma grande naïveté, je demande mon fort utile kit piéton. Air ahuri et compatissant du vendeur : « mais Monsieur, c’est très dangereux ».
Je me demande si mon interlocuteur croit que je vais me « stanguler » avec le redoutable fil reliant mon GSM à mon oreille. S’engage alors un dialogue entre techniciens :
Lui : « Non Monsieur, vous savez, on ne sait pas trop avec les téléphones : les études nous indiquent que les émissions radios ne sont pas nocives pour le cerveau mais il vaut mieux être prudent. Aujourd’hui il n’y a rien de mieux que le Bluetooth pour éloigner les ondes dangereuses. J’ai d’ailleurs une promotion à 60 euros ! »
Moi, faussement étonné : « A bon, le Bluetooth que l’on met sur l’oreille, ce n’est pas de la radio ? ».
Lui : « Euh, non c’est du Bluetooth. Blue ça veut dire bleu ! Vous voyez d’ailleurs,là, l’oreillette que je porte et qui clignote en bleu : c’est ça le Bluetooth, mis au point par nos ingénieurs. Il n’y a rien de mieux ».
Moi, franchement irrité que l’on mette en doute mes rudiments de la langue de Shakespeare « mais votre Blue machin, il communique comment avec le téléphone »
Lui « mais par Bluetooth, monsieur, c’est une NOUVELLE TECHNOLOGIE ».
Le vieux Monsieur qui était toujours en train de réfléchir à son nouveau téléphone prend un intérêt soudain pour notre conversation.
Moi « Cher vendeur, sauf si le téléphone est équipé d’une technologie de médium, le Bluetooth ne doit être ni plus ni moins qu’un émetteur radio » (Là j’avoue avoir été légèrement sadique en préparant le piège vers lequel fonçait mon interlocuteur).
Lui « mais non Monsieur, puisque je vous dit que c’est du BlueTooth »
Moi, lançant alors mon attaque : « Oui mais le Bluetooth, c’est un standard radio, dans la bande de fréquence ISM de 2,4 Ghz et qui a, dans notre cas, une puissance de 1mW. Cette bande est divisée en 79 canaux séparés de 1 MHz. Le codage de l'information se fait par sauts de fréquence. La période est de 625 µs, ce qui permet 1 600 sauts par seconde. Voilà ce que c’est que le Bluetooth, Monsieur. Maintenant, acceptez vous de me vendre un kit piéton filaire à 5 euros ? ».
Avez-vous vu le désespoir poindre dans le regard d’un vendeur, au moment où il découvre qu’il a perdu pied à un client récalcitrant. J’ai acheté mon Kit à 5 euros et le plus drôle est que le vieux Monsieur, tout ragaillardi, a, dans la même dynamique, opté pour un « simple » téléphone à 1 euro.
L’innovation c’est bien mais à condition de l’utiliser à juste titre.
Ni victime de la mode, ni du mix-produit, il ne me semble pas indispensable, pour paraître « branché » de se « débrancher », ne serait-ce qu’avec un superbe BlueTooth.
Je ne pense pas non plus, messieurs, que nous fassions davantage craquer la gente féminine avec votre dent bleue.
Car BlueTooth, passant à la moulinette du Harrap’s se traduit bien par : DENT BLEUE.
Et cela, par contre, reste pour moi un insondable mystère !
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